Interview
 

CAMILLE BUFFET, CHŒUR DE CHANTEUSE

PAR ADÈLE FUGÈRE

Le 13 juin prochain, Okay Chorale se produit sur la scène du Quai M. À cette occasion, les 70 choristes de cet ensemble vocal singulier proposent de reprendre a capella des titres d’artistes passés par ici tels que Voyou, Izïa, Pomme, Deluxe ou encore MC Solaar. Ce concert, ouvert à tous, est le résultat de longs mois de travail menés par la chanteuse Camille Buffet. C’est en 2022 qu’elle prend les rênes de la « maitrise ». Et à quelques jours du rendez-vous, nous avons pris un café avec cette « cheffe de cœur », histoire de la connaitre un peu mieux et de prendre la température juste avant la représentation. 

Camille arrive. Elle a le pas volontaire et elle s’excuse de son retard. Elle s’installe et nous n’attendons pas d’être servies pour commencer notre discussion.  

Elle a les traits de La Scapigliata de Léonard de Vinci. Mais ce qui vous marque de prime abord ce sont ses yeux verts tirant légèrement sur le jaune. Camille est de celles qui regardent vraiment quand vous posez vos questions. Elle ne feinte pas. Elle ne tergiverse pas. Elle est pleinement là. Tout dans sa posture annonce une sincérité et un naturel désarmants. Et c’est assez rare pour le souligner. 

« Le concert est dans quelques jours et il y a pas mal de stress du côté de mes chanteurs » me dit-elle en plongeant ses lèvres dans son café allongé qu’un garçon volubile et rieur dépose sur la table. « Le challenge est costaud. Tu sais, ce n’est pas rien de se produire devant un public. De chanter sans aucun soutien musical. C’est un peu comme si tu te mettais à poil devant des gens. Il faut tenir la voix sur la longueur. Et si l’une d’entre elles flanche, c’est l’effet château de cartes. Tout s’effondre. Mais en répétition, ils cartonnent. Sincèrement. Je suis très fière d’eux. De leur travail. De leur investissement. Je sais que je leur demande beaucoup mais j’ai l’impression qu’ils prennent pas mal de plaisir à venir chanter tous ensemble. Mon boulot c’est de leur donner confiance. Et ça me plait vraiment d’être leur cheffe de choeur. » 

Il y a deux ans, à la suite du départ de Stéphane Louvain engagé sur d’autres projets, Camille accepte de reprendre Okay Chorale. « Quand on est venu me chercher, j’ai été très honorée et enthousiaste même si j’avais conscience que le costume était grand. Si tu regardes bien, les chorales de 70 personnes ça n’existe pas. Tous les groupes polyphoniques tournent autour de 12 chanteurs maximums. Là, on est cinq fois plus! » 

Camille met en place une nouvelle façon de travailler, de nouveaux rendez-vous. Ils se voient deux fois par mois - vacances comprises - et les choristes doivent travailler chez eux. « Chanter c’est un kiffe absolu. Ça fait du bien. Dans la tête et dans le ventre. C’est aussi hyper fédérateur. Je ne veux pas enlever l’aspect ludique de ces moments partagés mais c’est vrai que ça demande une certaine exigence. Ce qui est drôle c’est que je me rends compte qu’ils sont aussi pointilleux que moi. Ils veulent bien faire. Chanter avec la bonne voix. » 

Cette discipline, Camille l’a-t-elle vis-à-vis d’elle-même ? Elle, dont le chant est sa passion depuis toute petite ? Elle, qui en a fait son métier ? Elle, qui fait partie de plusieurs ensembles - notamment polyphoniques - comme les 4zelles, Les Glam’s ou Blossom Trio ? « Oui. J’ai besoin de bosser pour me sentir légitime. Pour avoir confiance. Je crois que j’ai inventé le syndrome de l’imposteur (rires) donc je travaille encore et toujours. Et j’aime ça. Je prends des cours de chant avec David Féron (spécialiste des voix saturées et grande référence dans le milieu du rock métal). Ça m’aide beaucoup. »  

Une professeure de chant qui prend des cours de chant… « Oui, ça peut paraitre bizarre mais c’est absolument nécessaire dans mon métier. J’ai une voix très Princesse Disney (rires), lisse parce que je travaille justement beaucoup en polyphonie. Ma voix doit se fondre, ne pas prendre l’ascendant sur les autres sinon le résultat final est inaudible. J’avais envie et besoin de gagner en saturation, d’avoir un petit « graillou » comme James Brown. Loin de moi l’idée d’avoir la voix du parrain de la soul mais David me rééduque pour gagner en technicité et donc en intrépidité. Je tente plus de choses parce que je suis plus précise, je contrôle mieux et j’ai moins peur. » 

Aussi loin que Camille s’en souvienne, le chant a toujours été là. « Ma mère chantait beaucoup. Elle aimait principalement la variété française. Mon père était plus rock. Il y avait toujours beaucoup de musique à la maison. Je me souviens très bien des concerts de Michael Jackson qu’on regardait à la télé dans la cuisine. » Elle passe par le Conservatoire de La Roche-sur-Yon et les cours de Dominique Perrin « une femme formidable qui m’a donné confiance et qui m’a confirmé que le chant serait à jamais dans ma vie. Elle travaille encore aujourd’hui avec des chorales d’ados et j’en connais très peu qui arrive à passionner les jeunes comme elle. » Adolescente justement, Camille s’essaye au Métal lyrique. « Je reprenais du Dream Theater (groupe de métal progressif américain de Long Island). Quand j’y repense aujourd’hui… (rires). » Elle passe son Bac, s’installe à Paris pour des études dans la médiation culturelle, se rêve un temps régisseuse lumières. « Je voulais surtout travailler dans des institutions culturelles. Voir comment ça fonctionne de l’intérieur. Je faisais des études où on me demandait de réaliser, par exemple, un reportage sur la dernière exposition au Louvre. C’était quand même le rêve ! » 

Pour payer son loyer, Camille accumule les petits boulots. « Le jour, j’allais à la Fac. Et la nuit, je travaillais. J’ai servi des verres dans un bar à Pigalle. J’ai été « petites mains » au Musée d’Orsay. J’ai aussi travaillé à l’Élysée Montmartre ou j’ai été successivement ouvreuse, à la billetterie, au bar, aux vestiaires. J’ai adoré ! J’ai vu des concerts incroyables. J’ai aussi beaucoup appris. J’ai pu notamment comprendre comment fonctionnait l’industrie musicale. Travailler dans les musées m’a beaucoup plu mais quand j’étais à « L’Élysée », temple de la musique, c’est là que je vibrais vraiment. » 

Camille a 22 ans. Elle revient en Vendée. Elle travaille au Lieu Unique à Nantes, au Grand R à La Roche sur Yon. Elle est même dans la short-list pour devenir responsable de la billetterie. Mais malgré son expérience parisienne, on la remercie. Trop jeune. Camille n’est pas du style à se morfondre. Elle fait de cette légère déception, un déclic. Elle se consacrera désormais pleinement au chant et à son mezzo soprano. « Ça m’a fait comprendre que chanter était ma colonne vertébrale. Ça m’apporte un vrai bien-être. Ça me lave. Je me sens libérée de beaucoup de choses. Quand je donne des cours ou des stages j’ai l’habitude de dire que le chant fait gagner vingt séances chez le psy. En tout cas, chez moi ça marche. Et surtout, quand je chante je me sens ancrée. À ma place.» 

Camille est indépendante, travailleuse, limite hyper active, boulimique de tout. Elle a même repris un cursus de piano. « C'est un instrument hyper harmonique et qui aide beaucoup quand tu diriges une chorale. Mais à 37 ans c’est hard ! Je me rends compte que mon disque dur n’est pas tout neuf. J’aurais dû faire ça plus tôt. Mais je m’accroche ! » 

Et qu’aurait-elle fait si le chant n’avait pas été là ? 

« — Je crois que j’aurais bossé dans le médical. En tout cas, dans un métier de partage. Tourner vers les autres. 

— C’est un peu ce que tu fais déjà, non ? 

— C’est vrai… Je n’y avais pas pensé. » 

Retrouvez Camille et Okay Chorale au Quai M le 13 juin. Entrée libre, sans réservation. Plus d'infos ici 

Photo du portrait en couverture : Thomas Badreau

 

Crédit photo : David Fugère

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