YOTANKA, LABEL RÉSISTANT
Entre le Quai M et Yotanka, c’est une histoire de soutien, de lien humain et de confiance mutuelle qui a commencé dès le Fuzz’Yon. Raison toute trouvée pour en savoir un peu plus sur ce label qui se définit comme indépendant, défricheur et engagé.
Échange avec Vivien Gouëry, l’un de ses codirecteurs.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, Vivien Gouëry revient tout juste du Printemps de Bourges. « C’est toujours intense le Printemps de Bourges. Mais ça m’a requinqué ! J’ai pu échanger avec pas mal de personnes du milieu musical. Et je me rends compte que nous ne sommes pas seuls ! (rires) On est tous en questionnement sur notre économie qui va de plus en plus vite. »
Le garçon, au débit de mitraillette, est factuel, précis et ne tourne pas autour du pot. « Je ne vais pas te mentir, les temps sont durs. Mais Yotanka reste solide grâce à son catalogue d’artistes et grâce au streaming. Mais je me mets à la place de labels qui viennent de s’installer ou un peu plus fragiles. Ce n’est pas une période évidente. »
Yotanka Records*, implanté à Angers, Nantes et Rennes, existe depuis 12 ans. En une décennie, Vivien a vu l’écosystème de l’industrie musicale changer à la vitesse grand V. « Surtout depuis un an et demi. Les réseaux sociaux, les algorithmes font désormais la pluie et le beau temps. Il faut vraiment aller au charbon pour proposer des artistes, des groupes, des univers qui sortent de l’ordinaire, qui ne rentrent pas dans des cases pré-définies. » Est-ce à dire que le public a tendance à « consommer » toujours la même chose ? « On ne va pas se mentir, il y a quand même un peu de ça. Mais quand je vois qu’une artiste comme Zaho de Sagazan qui offre quelque chose de très singulier, à contre-courant d’une certaine facilité ambiante et que le public suit, je trouve ça plutôt rassurant. C’est une bonne nouvelle. »
Dans cet esprit, le label Yotanka reste droit dans ses bottes et se laisse guider uniquement par ses convictions. Sous son aile bienveillante, s’épanouissent entre autres H-Burns, Kid Francescoli, Yan Wagner ou encore le collectif Lo’Jo qui passera par le Quai M le 6 juin prochain. Des artistes éclectiques, reconnus et qui ont su creuser leur sillon. « Mais tu sais, on s’engage autant avec nos artistes établis qu’avec ceux qui sont un peu plus dans l’ombre. Tiago Caetano par exemple. Un Rennais qui invite au Brésil et dont le travail est absolument formidable. Quand on accompagne quelqu’un, c’est un investissement total. Financier, humain, créatif, réfléchi. Nous ne « signons » pas seulement un artiste. Nous travaillons pleinement avec lui. J’ai l’habitude de dire que nous sommes son premier partenaire… même si mes amis tourneurs pensent que ce sont eux (rires). »
Yotanka aurait pu se contenter de produire et de ne s’intéresser qu’à un seul et même courant musical. Mais ses oreilles sont polyphoniques, polymorphiques et multicolores. « C’est la diversité et l’ouverture qui font, à mon sens, la différence, la pertinence et la force à l’heure où tout s’uniformise, se rabote, s’affadit. Aujourd’hui, le chiffre, le like, le nombre de vues sont devenus la variable d’ajustement. Et c’est dommage. Je ne dis pas que c’était mieux avant. Les grandes heures des gros labels avec lesquels l’artiste pouvait vivre pleinement de sa musique est, à mon sens, révolu. Mais je crois que nos artistes valent mieux qu’une simple et unique présence sur les réseaux sociaux. Ils doivent y être, c’est certain, mais pas au détriment de la création. »
Cette vérité que défend Vivien se complète par un engagement éthique du label - l’égalité homme-femme n’est pas un vain mot chez Yotanka - mais aussi environnemental. « L’industrie du disque n’est pas la plus vertueuse du monde. Mais en tout cas, chez nous, depuis des années, la question écologique est fondamentalement liée à nos prises de décision. Pour te donner un tout petit exemple, on fait fabriquer nos vinyles en circuit court, chez B-Side Factory à Montaigu. Et on essaye toujours de les réaliser à partir de matières recyclées. On fait gaffe. On fait attention. C’est essentiel aujourd’hui. »
Et justement, si Vivien n’avait pas répondu à l’appel de la musique, qu’aurait-il fait ? La réponse ne se fait pas attendre : « j’aurais répondu à celui de la nature. »
* du vrai nom du chef et médecin native américain Sitting Bull de la tribu des Lakotas Hunkpapas (Sioux), premier résistant à l’armée américaine dans la 2ème partie du XIXème siècle.
