Interview
 

GÉRALD FLEURY, L’ILLUSTRATEUR ANIMÉ

PAR ADÈLE FUGÈRE

La « galaxie » Quai M n’est pas uniquement composée de musique. Gravitent autour d’elle d’autres satellites, d’autres disciplines, d’autres talents. L’illustrateur, réalisateur et membre du collectif « Mizotte & Cabécou » Gérald Fleury en est un. C’est par un atelier de sérigraphie que l’histoire entre le Fuzz’Yon et Gérald commence il y a une dizaine d’années. C’est à lui, entre autres, que fait appel la nouvelle scène de musiques actuelles nouvellement rebaptisée, pour réaliser son film de présentation et d’ouverture en 2022. Un ovni d’animation de papier en stop motion épatant.

Portrait d’un bricoleur bosseur et animé.

 

Bavarder avec Gérald, c’est d’abord se familiariser avec un débit de paroles « à la mitraillette ». Le garçon parle vite. À l’autre bout du fil, on l’imagine aisément ponctuer ses phrases avec de grands gestes « à l’italienne » alors qu’il est breton depuis peu. Gérald Fleury, 41 ans au compteur - connu aussi sous le blaze de Blaz -, est attachant, enthousiaste surtout quand on lui parle de création et de dessin. « J’ai toujours dessiné. Notamment au collège. Ce n’est pas très académique de dire cela pour un type qui donne maintenant des cours à l’école de Design de Nantes mais je n’ai pas beaucoup aimé mes années collège (rires). Le dessin m’a aidé, même au lycée quand d’autres abandonnaient les crayons et passaient à autre chose. Il a toujours été, pour moi, un très bon moyen d’insertion, d’inclusion pour employer un terme à la mode. J’étais le copain qui dessinait. Ça intriguait. Ça interpellait. Et donc ça intéressait ».

Gérald ne descend pas d’une famille d’artistes. « J'ai la chance d’avoir des parents qui m’ont quand même toujours encouragé dans cette voie ». Un BAC scientifique en poche, il se tourne naturellement vers les arts appliqués et intègre la renommée École Pivaut de Nantes. Trois années d’apprentissage et de labeur - dans le premier sens du terme -, tant elles furent intenses et strictes pour acquérir les techniques. « À Nantes, à la fin des années 90 début des années 2000, il y avait une sorte d’émulation créatrice. C’était certes les balbutiements d’Internet, les premiers pas de ce que l’on allait appeler plus tard les réseaux sociaux, la démocratisation des studios de création, mais ça frétillait pas mal dans le milieu indé. J’étais dessinateur, vidéaste, musicien. J’oscillais entre ces différentes disciplines. Et avec des copains on avait envie de faire des choses entre nous et par nous-même. Juste pour le fun. Pour le plaisir de construire ensemble. De voir jusqu’où pouvait aller une idée. J’ai donc commencé à bricoler des petits clips vidéos réalisés en très peu de temps et avec très peu de moyens. Ça m’a permis de décupler cette créativité. Être contraint, ne faire qu’avec ce que j’avais sous la main - et je n’avais pas grand-chose - m’a obligé à être malin. Et j’ai gardé ça. Ce fut une période exaltante ».

Mais la notion de « bricolage » n’est-elle pas péjorative voire quelque peu surannée ? « Je ne vois pas ça comme ça. C’est pour moi très noble de bricoler. J’aime travailler à la main avec peu, avec des matériaux dits « pauvres » comme le papier. D’ailleurs, le papier n’est pas une sous-matière pour moi. C’est tout le contraire. Tu peux faire ce que tu veux avec ». Gérald s’est d’ailleurs spécialisé dans la réalisation de films d’animation en stop motion dans lesquels le papier a justement la part belle. De véritables petits bijoux d’inventivité et d’ingéniosité à des années-lumière des réalisations purement numériques. « J’aime l’idée de me détacher de l’ordinateur. Le film d’animation tel que je le fais avec Timo Hateau et Vincent Lahens a aujourd’hui toute sa place notamment parce que des choses absolument fantastiques se font uniquement à l’ordinateur. Le côté « bricole », artisanal, devient alors un vrai parti pris créatif ». Et l’IA (Intelligence Artificielle) dans tout cela ? A-t-il peur qu’elle remplace l’artiste ? « Non. Et puis, ne soyons pas naïfs, on l’utilise déjà. L’IA pour moi, c’est un outil. Elle te permet de gagner du temps, d’exécuter des tâches répétitives. Ça ne peut que t’aider. L’autre jour, je me suis amusé à tester ChatGPT pour écrire un texte. Sache que ChatGPT n’a aucun humour. Il ne connaît pas le second degré. Je trouve cela plutôt rassurant. Ça veut dire que la subtilité, la nuance vient du cerveau humain ».

Aujourd’hui, Gérald travaille sur plusieurs projets aussi divers que stimulants. Il créé des décors pour le Hellfest à Clisson, travaille sur une série animée pour adultes en 2D avec Eric Pasquereau du groupe Papier Tigre et collabore avec le Parc régional d’Armorique implanté au cœur du Finistère. La ville de Douarnenez accueille d’ailleurs jusqu’au 22 décembre prochain une exposition rétrospective des réalisations de « Mizotte & Cabécou ». Dix ans de travail du collectif à travers des croquis, des maquettes, des films et des making-of rassemblés au Centre des Arts André Malraux. « Je suis content parce que c’est la première fois que notre travail est regroupé en un même endroit. Ça m’impressionne aussi parce que c’est déjà dix ans de réflexions, de papiers gribouillés, d’objets créés. Ça file ! ». Aucun doute, Gérald est un bosseur. Un gros travailleur. « Il n’y a pas de secret. Même si tu as un semblant de talent, il faut le travailler. Prenons l’exemple du dessin. Plus tu vas dessiner et mieux tu vas dessiner. Et chez moi, plus je vais dessiner plus je vais avoir l’envie de dessiner. C’est en travaillant que me vient l’idée. Donc je n’ai pas le choix. Mais me lever le matin et me dire que ce soir j’aurais créé quelque chose, ça me plait ».

Gérald Fleury n’est pas un garçon que l’on met dans une case. Réalisateur, plasticien, designer, dessinateur, il est toujours partant pour explorer, expérimenter, essayer, tenter, chercher, éprouver. « Quitte à se planter. Mais j’aime faire les choses par moi-même. Je crois que c’est ma manière d’apprendre ». Y a-t-il une colonne vertébrale à tout ça, une base, un socle ? « Le dessin. Tout part du croquis que ce soit pour un décor, un film ou une sérigraphie. C’est pour ça que je me vois d’abord et avant tout comme un illustrateur ».

 

Exposition « Mizotte & Cabécou » du 21 octobre au 22 décembre 2023 - Centre des Arts André Malraux de Douarnenez.

Toutes les réalisations de « Mizotte & Cabécou » sont sur www.mizotteetcabecou.com

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