Interview
 

HÉLÈNE FOURRAGE DE MUSAZIK « MON MÉTIER, C’EST LA RENCONTRE D’UN ARTISTE AVEC SON PUBLIC »

ENTRETIEN AVEC ADÈLE FUGÈRE

On s’est donné rendez-vous dans un café. Manque de bol, celui-ci était fermé. Elle m’attendait devant, les cheveux flamboyants, les yeux « glace » et le téléphone vissé à l’oreille. Un geste pour me dire qu’elle finissait une conversation et on s’est mises en quête d’un autre endroit où discuter. C’est à sa foulée rapide, à son débit de paroles soutenu, que je me suis dit qu’Hélène Fourrage, à la tête de Musazik, était une vraie passionnée. Et notre échange autour d’un café allongé et d’un crème ne fit que confirmer cette première impression.

Adèle Fugère (AF) : Hélène, c’est quoi Musazik ?

Hélène Fourrage (HF) : C’est une société associative de production de spectacles, management et tour spécialisé dans le secteur musical et plus spécifiquement dans les musiques actuelles. Musazik existe depuis 2004. On est installé à Nantes et à La Roche-sur-Yon. Il y a 3 salariés permanents, tous experts du milieu, et un « catalogue » de 70 artistes environ. On travaille notamment avec French Cowboy, Robock, Blond Niel Young. Plus qu’accompagner, on développe. De la création à la rencontre avec le public. On voit comment on peut soutenir une idée par la recherche de financements ou la mise en relation avec d’autres structures par exemple. Et pour être tout à fait complète, Musazik a aussi une partie « label », c’est-à-dire qu’on produit aussi des supports phono. Je tiens à préciser que nous ne sommes pas producteurs de concerts. C’est un autre métier que d’autres font beaucoup mieux que nous.  

AF : Pourquoi avoir créé Musazik ? Est-ce que ça répond à un besoin?

HF : Oui. J’ai un bagage en gestion, administration dans le secteur de la production audio, cinéma et spectacles vivants. Etudiante, je gravitais déjà dans le milieu musical et je m’occupais notamment de Tri Bleiz Die. Je faisais pas mal de choses : recherche de dates de concerts, merchandising, technique… J’étais avec eux sur la route mais sans vraie structure support. Et je voyais bien que je répondais à un manque. Ce qui est encore le cas aujourd’hui d’ailleurs. Quand les artistes commencent à bien tourner et à rencontrer un certain succès, ils se doivent de se professionnaliser mais ils n’ont pas forcément le temps et l’envie. C’est là où j’interviens. Donc tout cela a fait sens et je me suis dit qu’il fallait créer une structure solide et professionnelle pour développer des projets musicaux et aider les artistes. Et c’est comme ça que Musazik est née.

 

AF : Comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu travailles ?

HF : Je marche à l’envie, à l’humain et au feeling. Il faut que cela me touche. Je ne peux pas défendre le projet si je n’y crois pas, je ne l’aime pas ou je ne m’entends pas avec les protagonistes sinon tu penses bien que j’aurais fait « force de vente » et je vendrais aujourd’hui des frigos et des sèche-cheveux ! J’ai toujours une petite voix qui me dit : « suis-je la bonne personne pour défendre ce projet et ces artistes ? ». On est quand même dans un secteur éminemment humain, artistique et créatif et je crois que la chose la plus importante c’est le feeling. Si ça ne matche pas entre l’artiste et moi, c’est compliqué d’aller chercher un financement, un lieu où répéter et se produire parce qu’il faut bien comprendre que travailler ensemble c’est pratiquement vivre ensemble et sur une longue durée. L’entente est donc primordiale. Musazik est très proche de « ses » artistes et c’est pour cela que les projets se concrétisent.

AF : Tu es quoi alors pour eux ? Une maman ? Une coach ? Une nounou ?

HF : Les artistes avec lesquels je travaille m’appellent soit « maman » soit « patronne » (rires). D’ailleurs, quand certains me présentent à leur mère, ils disent : « Hélène, ma deuxième maman » !

AF : Et à l’inverse pourquoi, selon toi, les artistes veulent travailler avec toi et avec Musazik ?

HF : Il faudrait leur poser la question mais prenons l’exemple des Little Rabbits. Ils ont connu le succès, les grosses structures comme Barclay, Universal. Ils ne regrettent absolument rien de cette période mais quand tu discutes avec eux, ils disent que le côté humain n’était quand même pas la chose primordiale. Quand ils avaient besoin d’avoir un simple renseignement, ils ne savaient pas vraiment qui contacter. Quand Frédérico (Pellegrini), l’un des membres, est venu me chercher pour son projet « Lonesome French Cowboy » après l’arrêt des Little, c’était d’abord pour une aide administrative. Et puis petit à petit, ça s’est transformé en une vraie rencontre humaine. Aujourd’hui, on travaille sur tous ses projets. Avec moi, les artistes savent qu’ils peuvent m’appeler à tout moment. Je dis rarement non. Et quand je dis non c’est qu’il y a une vraie raison. Et pour répondre vraiment à ta question, je pense que les artistes viennent me voir parce qu’on ne travaille pas uniquement sur la sortie d’un album et d’une tournée. Souvent, dans le secteur musical, il y a la sortie de l’album, les 6 mois de tournée qui suivent et puis après plus rien. À Musazik, on est clairement sur un autre timing. L’album peut vivre 6 mois, 1 an voire même 2 s’il y a la demande.

AF : Ce qui est assez rare dans un milieu où la notion d’artiste « kleenex » est quand même là…

HF : C’est vrai. Le côté « kleenex », abattage, « je te presse et je te jette » ce n’est clairement pas notre truc. On aime assez le temps long. Mais on peut aussi se permettre ça et développer les projets - dans tous les sens du terme d’ailleurs - parce que nos artistes travaillent eux aussi sur la longueur et qu’ils ont un nom et une certaine notoriété. Les Von Pariahs viennent d’arrêter mais on repart ensemble sur un nouveau projet avec Sam (Sprent) et Théo (Radière) par exemple.  On préfère prendre le temps de bien faire les choses.

AF : Le secteur de la musique est en grande mutation du côté des artistes mais aussi du côté des « consommateurs ». Est-ce que Musazik a du s’adapter à cela ?

HF : Oh que oui ! Et la meilleure preuve d’adaptation fut la période du Covid et son cortège de fermetures de salles, de réouvertures, de re-fermetures, de reports de dates etc. On a travaillé deux fois plus pour être à l’affût de la moindre info et pour faire en sorte que nos artistes continuent à vivre de leur passion. Je me souviens que French Cowboy était programmé le vendredi 13 mars au Fuzz’Yon, soit 2 jours avant la date officielle du premier confinement. Le concert a été annulé à 13h le même jour. Ça faisait 1 mois que l’album était sorti - on avait eu le nez creux sur ce coup-là (rires) - et malgré tout, on a réussi à faire 60 dates de concert parce que dès qu’il y a avait une fenêtre de tir, une salle qui rouvrait, une date de libre, on y allait. J’étais en veille permanente, juridique, sociale, musicale, gouvernementale, financière. J’étais là aussi pour remonter le moral et maintenir la tête hors de l’eau de mes artistes. Pour les tenir au courant de ce que l’on pouvait faire, pas faire, plus faire, refaire dans une ambiance assez anxiogène où on leur faisait comprendre qu’ils n’étaient pas considérés comme « essentiels » et où l’ascenseur émotionnel était à la limite du yoyo. Donc oui, il a fallu s’adapter à marche forcée. En même temps, avec le recul, cette période a resserré, renforcé et consolidé nos liens. Mes artistes ont tenu parce que j’étais là. Et j’ai tenu parce qu’ils me faisaient confiance.

AF : Dois-tu aussi t’adapter à une nouvelle façon de faire de la musique ?

HF : Oui aussi. Aujourd’hui, tout le monde peut faire de la musique, la poster sur Youtube, Instagram ou TikTok et faire des vues. Il n’y a pratiquement plus de démarchage. On n’envoie plus de cassettes, de CD, de flyer par La Poste. Tout se passe sur le Net. Mais je crois qu’il faut faire attention à cette nouvelle génération de musiciens et de créatifs parce qu’elle passe de Youtube à la scène sans sas de décompression, sans avoir été confrontée à un vrai public. Ils n’ont pas bourlingué, usé leurs guêtres dans des cafés concerts, sur des petites scènes ou en première partie. Ça demande un minimum de codes à maitriser. Ne pas les cadrer là-dessus, c’est un peu à mon sens, les envoyer au casse-pipe. Mais attention, je ne suis pas là pour dire que c’était mieux avant. J’ai la chance de travailler avec des artistes plus anciens dont certains ont connu toute l’évolution du secteur mais qui ne restent pas figés, fermés, has been. Ils sont aussi curieux de cette nouvelle façon de proposer et de montrer des projets aux autres. Donc ça nous oblige aussi à ne pas être trop à côté de la plaque.

AF : Le milieu de la musique est majoritairement masculin. Être une fille, à la tête d’une société de production musicale, ça aide ou ça dessert ?

HF : Les deux. Au tout début de Musazik, je cumulais deux handicaps. J’étais une femme et j’étais jeune. Et j’ai évidemment entendu des réflexions sexistes mais pas malsaines. J’ai dans l’ensemble été considérée. Je crois que ce qui m’a sauvé c’est d’abord que j’ai monté ma propre structure à 22 ans. Ça m’a aidé à m’imposer. Il a quand même fallu que je fasse mes preuves et plus qu’un homme, ça c’est certain. Mais je pense que ce n’est pas propre au secteur musical. Et puis j’ai un caractère fort. Je ne me suis jamais laissée marcher sur les pieds. Et je pense sincèrement qu’il faut ce caractère-là pour être respectée dans ce milieu-ci.

AF : Si tu devais retenir une chose de ton métier ?

HF : Je crois que c’est la notion de plaisir. Faire en sorte que les artistes soient heureux et vivent de leur métier c’est éminemment gratifiant. Qu’ils soient en confiance aussi. Et puis de l’autre côté, j’aime cette idée que par notre travail, notre collaboration, le public prenne du plaisir aussi. Je sais que j’ai bien fait mon boulot quand je suis en concert, au milieu de la foule, que « mes » artistes sont sur le plateau et que je vois l’osmose entre la scène et la salle. J’en ai même quelquefois la chair de poule. C’est ça mon travail. C’est la rencontre entre l’artiste et le public. J’aime cette idée d’avoir été un des rouages d’une mécanique bien huilée. J’aime me dire qu’avec ma rigueur, mon côté humain, ma solidité, mon ancrage, mon coté organisationnel j’ai défendu un projet réalisé ensemble et qu’on l’a tous mené à bien. J’ai alors vraiment l’impression d’avoir rendu service.

AF : Pas de frustration alors de faire un métier « de l’ombre » ?

HF : Aucune. Je suis consciente de faire un métier méconnu du grand public voire même de certains artistes. Et quand un projet se passe bien et rencontre son public, soyons honnête, c’est d’abord l’artiste qui est félicité. C’est le jeu. Ça ne me dérange pas. J’aime me dire qu’on a fait partie d’un ensemble. Et pour être tout à fait franche avec toi, j’ai un peu « tâté » de la scène quand j’étais plus jeune. Je me mettais dans des états pas possibles de trac et d’angoisse. Je peux t’assurer que je suis bien mieux à ma place aujourd’hui.

AF : Après presque 20 ans d’activité, est-ce que tu es blasée ?

HF : Non. Je vibre encore. Je peux être fatiguée parfois mais blasée jamais. J’ai quand même une chance folle. Je vis d’un métier passion. Le jour où je ne vibrerai plus, j’arrêterai. Pour faire quoi… Ça c’est une autre histoire.

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