Interview
 

IRÈNE DRÉSEL, LA FINE FLEUR ELECTRO

PAR ADÈLE FUGÈRE

En partenariat avec le 15e Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, Irène Drésel - accompagnée de son complice Sizo del Givry - déploiera sa techno hypnotique sur la scène du Quai M le samedi 19 octobre prochain. À quelques jours de l’évènement, nous sommes allés à la rencontre de celle qui, en trois albums (Hyper Cristal, Kinky Dogma et Rose Fluo), un César de la meilleure bande originale pour le film d’Éric Gravel À plein temps en poche et une participation à la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques de Paris, a su s’imposer comme la fine et élégante fleur de la musique électro. 

Le rendez-vous téléphonique était fixé à 14h30. À l’heure dite, je reçois sur mon smartphone « Bonjour Adèle, je suis prête ». Première constatation, Irène Drésel est ponctuelle. J’appelle. Et c’est une voix claire, posée, légèrement timide qui m’accueille (me cueille?). 

En ce début d’après-midi pluvieux, Irène Drésel est dans un moment « off ». Est-elle chez elle ? En campagne ou en forêt ? Je n’ose lui demander de peur de percer une bulle intime qui ne me regarde pas. Je suppose qu’elle est à l’extérieur. J’entends, en fond sonore, le bruit de feuilles mortes que l’on déplace, un coup à gauche un coup à droite, dans un balancier de bout de chaussure. Je me trompe peut-être mais j’aime cette idée qu’Irène parle avec cette litanie qui rythme ses réponses. Et je me dis que si elle peut le faire c’est, qu’au moins chez elle, la pluie ne tombe pas.

Irène Drésel n’a pas commencé par la musique. C’est l’art plastique et contemporain qui l’a d’abord intéressée. Diplômée des Beaux-Arts de Paris et des Gobelins, elle se plait alors à créer en grand. « Je travaillais notamment sur des photos de 2m de hauteur. C’était chouette de bosser dans l’art contemporain mais c’est un milieu lourd dans tous les sens du terme. D’abord parce que je maniais de grandes pièces difficiles à manipuler, très encombrantes. Ensuite c’est lourd mentalement. Il y a un côté mastodonte dans ce milieu et j’avais envie d’immédiateté, de quelque chose de plus direct, de plus simple. » 

Elle bifurque alors vers la musique électro « parce que je ne jouais pas - et ne joue toujours pas - d’un instrument et puis c’est - et c’est toujours - la musique que j’aime par-dessus tout. Je n’écoute que ça. » 

James Holden, DJ anglais et compositeur devient pour elle une référence. « À l’époque, j’écoute beaucoup ses premiers albums. Je vais à ses concerts et c’est en le voyant sur scène que je me dis que je veux faire la même chose. » Avec une petite variante. James Holden ne regarde jamais son public. Irène se promet de le faire tout le temps.

Et c’est le cas. Sur scène, elle enveloppe. Elle invite à la danse voire à la transe. Son électro qu’elle qualifie elle-même de mélodique, doux et puissant se situe entre le rêve et le rite bien loin des clichés visuels et traditionnels de l’écosystème électro-techno. « J’avais envie de proposer autre chose qu’une scénographie rêche, forcément noire avec des câbles partout. J’ai donc mis des fleurs. Mais je ne joue pas un personnage. C’est mon univers. C’est mon cocon. Vous verriez chez moi, il y a des fleurs absolument partout. Je voulais aussi montrer qu’on peut faire de l’électro avec un univers très féminin. Que le contraste marche. Que ce n’est pas du tout antinomique. »

Irène aime surprendre, faire fi des clichés. C’est peut-être pour cela que le réalisateur Éric Gravel l’appelle pour habiller son À plein temps, film dramatique dans lequel on suit Julie (interprétée par Laure Calamy) qui court tout le temps, qui élève seule ses deux enfants, qui vit à la campagne mais travaille à Paris comme femme de chambre dans un palace. Chaque jour est une course contre la montre. Va-t-elle réussir à prendre le RER ? Va-t-elle arriver à temps pour récupérer ses enfants à l’école ? Va-t-elle boucler les fins de mois ? À chaque journée de Julie, la musique d’Irène. « Je compose grâce à l’histoire, au jeu des acteurs. J’ai évidemment suivi les directives d’Éric mais c’est Julie qui m’inspire. Par exemple, pour la scène où elle va au distributeur pour retirer de l’argent, elle ne s’est pas si l’appareil va lui en donner. Je voulais quelque chose de tendu, qui reflète son état émotionnel à ce moment précis. Quelque chose de proche des battements du cœur, du flux sanguin. Ses journées sont très chargées, très stressantes. Il fallait que mes compositions reflètent ça. » 

Au final, une musique de film toujours sur la corde et, en 2023, un César de la meilleure bande originale pour Irène, première femme à remporter cette distinction. « Ce fut un choc. Je n’en revenais pas. Il parait même que j’ai mis, ce soir-là, un coup de boule à mon partenaire en me levant mais je n’ai absolument aucun souvenir ! (rires) ».

On imagine alors que les propositions de collaboration fusent mais paradoxalement non. « Les gens pensent peut-être, à tort, que les artistes qui reçoivent un César sont automatiquement plus chers et moins disponibles. Mais ce n’est pas le cas. » 

Aujourd’hui, les projets s’enchainent. Musique de films, de séries, de documentaires. Mais on n’en saura pas plus. « Tout ce que je peux dire c’est que je suis très excitée et très fière de participer à tout cela. De toute façon, je ne pourrais pas travailler sur quelque chose qui ne me plaise qu’à moitié. Il faut que je sois emportée. »

Et si elle n’avait pas embrassé des études de plasticienne puis une carrière musicale, qu’aurait-elle fait ? « Petite, je voulais être marchande de glaces rien que pour le chariot (rires). Sinon, j’aurais fait des études d’anglais et j’aurais travaillé sur les bateaux qui font la liaison entre le continent et l’Angleterre. »

Elle marque une pause. Pendant un court instant, je me dis qu’on a été coupées. Mais non, Irène Drésel est toujours là et conclut par : « mais je crois que ce qui m’aurait vraiment plu c’est de monter mon agence matrimoniale. D’être une sorte d’entremetteuse. J’aime l’idée que les gens tombent amoureux. Je crois que le plus beau compliment c’est quand on me dit que deux personnes se sont rencontrées sur ma musique. Je crois qu’il n’y a pas plus beau que ça. »

Irène Drésel et Sizo Del Givry - © Valérie Mathilde

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