Interview
 

JUMO, LE SOLITAIRE COLLECTIF

PAR ADÈLE FUGÈRE
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C’est parce que JUMO a composé la musique du film d’animation annonçant la naissance du Quai M et réalisé par Gérald Fleury du collectif Mizotte et Cabecou, qu’ici, on a voulu en savoir un peu plus sur ce garçon.

À 31 ans, ce timide solitaire, qui se dit déjà vieux (sic), multiplie les projets et les collaborations diverses et variées tant par goût des rencontres que pour ne pas être enfermé dans un seul style, un seul courant, un seul art. JUMO est un chercheur de sons pluridisciplinaire où musique, image, graphisme voire même danse se mélangent, se confondent et s’entremêlent pour devenir une entité à part entière. JUMO a la complexité élégante et c’est une excellente nouvelle.

Appelez-le Clément ou JUMO, c’est selon. Et ça n’a pas vraiment d’importante car le garçon répond sans distinction au prénom familial qu’à celui qu’il s’est lui-même choisi. On lui fait remarquer que ce pseudo appelle l’équipe, le binôme, le duo, la gémellité alors qu’il travaille essentiellement seul. « À mes débuts, j’ai eu du mal à me sentir légitime. Le fameux syndrome de l’imposteur. Je faisais de la musique derrière un ordinateur sans manipuler de vrais instruments. Et on était encore dans l’idée que la vraie musique ne pouvait sortir que d’une guitare ou d’un piano. JUMO, c’était comme se créer un avatar. Un double. Une manière d’assumer une autre façon d’aborder la musique ».

Clément a tout de même commencé sur un « vrai » instrument. La batterie, dès l’âge de 10 ans. Les années lycée l’ont vu évoluer dans différents groupes de copains et de rock garage. Mais il se rend vite compte que la position du batteur est de facto au second plan, dépendant des parties rythmiques mais aussi des autres. Il se sent à l’étroit et à l’arrière. Il a envie de production, de composition et surtout d’indépendance. Il suit son intuition et troque ses baguettes pour un clavier… d’ordinateur. C’est désormais seul qu’il créera. Depuis ce jour, Clément n’a plus jamais touché une batterie. « Je recherche avant tout un son. Je ne saurais même pas définir ma musique. Je suis catalogué « électro », ce qui n’est pas faux et ça me plait. Mais je n’aime pas trop les étiquettes. Ça enferme ». C’est pourquoi il « tâte » d’autres sonorités, comme celles avec Alix Lachiver plus pop, ou sa collaboration avec Sylvain Pelier (Maze) sous le collectif Telenoia. « Il y a quand même des constantes dans mon travail. Par exemple, j’aime bien tirer les plages instrumentales. Mais je ne le fais pas exprès. Tout cela n’est pas vraiment réfléchi. C’est très instinctif ». Il a l’air de s’en s’excuser mais quand on lui fait remarquer que cela apporte une belle mélancolie à ses compositions, il répond: « Ma mère m’a aussi dit cela à la fin d’un concert à Angers. Je me souviens que mon père m’avait plutôt parlé de musique triste et ça m’avait foutu le bourdon (rires). Donc, je prends la mélancolie! Une mélancolie qui j’espère fait du bien. »

JUMO travaille en fonction de ses influences du moment. Il n’est pas rare d’entendre une plage de musique rock, une clarinette ou un orgue dans ses compositions. Il ne met aucune barrière. Aucune limite. Ce sont ses envies qui le tiennent avant tout. « Il faut que les projets me plaisent et qu’ils comportent beaucoup d’humain. Je marche aux autres même si la solitude est une composante essentielle chez moi. C’est un peu paradoxal mais j’aime travaillé seul et ensuite mettre le résultat de mes tergiversations sonores et visuelles sous le regard des autres ».

Certainement influencée par son passé de graphiste, la musique de JUMO s’accompagne toujours d’images comme si chaque morceau était un « objet » audio-visuel à part entière. « Tout vient en même temps. Le son et l’image. Quand j’y réfléchis, il n’y a pas vraiment de règles ou de recettes. Et c’est justement parce qu’il n’y en a pas que ça me plait. Rien n’est prédéfini à l’avance. Il y a un côté surprenant à la chose. Il m’est arrivé d’écrire un morceau en un après-midi dans un formidable alignement des planètes comme mettre six mois à trouver deux phrases ». Et justement, les mots dans tout cela? « J’ai des carnets dans lesquels je note des pensées. Elles se retrouvent souvent dans mes images ».

JUMO recherche, travaille, améliore. On sent le perfectionniste derrière cette voix grave et légèrement nonchalante. Mais comment sait-on alors qu’un morceau est terminé, qu’il est prêt à être entendu et montré? « Il faut que je me fasse violence parce que j’ai toujours envie de faire évoluer le morceau. J’ai cette sensation qu’il ne sera jamais terminé. Qu’il y a toujours un petit détail à bouger, enlever, ajouter. Je suis un éternel insatisfait. Mais à un moment, il faut dire « stop ». J’abandonne le morceau pour son bien et le mien. Il ne m’appartient plus. C’est pour cela que les jours de sortie d’EP ou d’album, je fuis. J’ai besoin de lâcher l’affaire. J’ai besoin d’un sas de décompression. Ce n’est qu’au bout de quelques jours que j’y reviens et que je commence à lire et entendre les appréciations ». 

En 2020, la sortie de son premier album Et le vent? a été salué par la critique et le public. Mais ce fut pour lui une expérience particulière. « L’album est sorti en pleine pandémie de manière un peu confidentielle. J’avoue que ce fut un peu dur à encaisser. J’avais tellement donné de moi, de temps, de travail, de mes influences… J’ai eu la sensation de me prendre un mur. C’est aussi pour cela que je me suis ouvert à d’autres artistes et collaborations pour ne pas rester dans ce mood-là, un peu « down ». J’avais envie de faire autre chose, de différent, même dans le son ». Mais avec du recul, le Covid et ses différents confinements ont eu du bon. De nomade, composant principalement dans les trains et les hôtels, JUMO s’est sédentarisé, installant même un véritable studio chez lui. « J’avoue que me poser six mois de l’année aux Sables d’Olonne me plait. Cet encrage me va bien. Je vieillis (rires). Mais j’ai toujours besoin de contrebalancer. D’être fixe et en mouvement. D’être seul et en groupe. De travailler mes sons et d’en découvrir d’autres. De passer de l’électro à la pop. J’ai un peu la sensation quelque fois de n’être jamais satisfait, de tout vouloir, d’être une sorte d’enfant gâté ».

Ce qu’il n’est pas. Il ne se considère même pas comme un artiste. JUMO a juste besoin de faire des choses. Il vient de monter le label Ratio Club qui met en avant un artiste électro tous les mois. Le 18 novembre dernier, Telenoia a sorti un maxi visible sur les réseaux et il travaille toujours sous la bannière du collectif Cela composé de jeunes musiciens, compositeurs, dessinateurs, graphistes et photographes.

On pourrait alors croire que JUMO se disperse. Qu’il ne sait pas ce qu’il veut, pétri de paradoxes. Mais ce n’est pas cela. Il créé. C’est tout.

Au final, si l’on devait jouer des comparaisons, des métaphores et des images, JUMO serait, à n’en pas douter, la parfaite définition de ce que l’on appelle en peinture le « clair-obscur ».

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