Interview
 

DENIS PÉAN, COMMUN DES MORTELS

PAR ADÈLE FUGÈRE

On ne présente plus Lo’Jo. 40 ans de carrière, de rencontres, de voyages, d’interrogations sur le monde. Plus qu’un groupe (angevin), Lo’Jo est un collectif qui a notamment collaboré avec Led Zeppelin, Tony Allen ou plus récemment Albin de la Simone.

« Feuilles Fauves », le dernier et 18e album, est sorti en septembre 2024. L’occasion pour Lo’Jo de le défendre sur scène et notamment le 6 juin prochain au Quai M. 

On a appelé Denis Péan, fondateur et figure emblématique de Lo’Jo. Il nous a parlé de musique, de la santé du monde et de son jardin. 

« Vous permettez ? Avant de commencer je vais couper la musique. » C’est ainsi que débute l’interview de Denis Péan. Un disque en fond sonore. Des pas qui s’éloignent. La musique qui s’arrête. Des pas qui reviennent. Un téléphone qu’on manipule et un très doux « Voilà. Maintenant je vous écoute. » 

Il ne le sait pas mais, ici, l’interviewer lui, le pianiste, le poète, ce n’est pas rien. Sa voix ramène à 1996. À Jean-Louis Foulquier qui, sur France Inter, consacre un de ses « Pollen » à Lo’Jo. C’est l’année de la découverte du groupe. C’est surtout l’année de la découverte de la voix de Denis Péan. Et l’entendre, là, à travers un téléphone collé à l’oreille, c’est assez vertigineux.

Car Denis Péan parle comme il récite. Il a le débit juste, le tintement rond et les mots choisis. Il y a du Claude Nougaro dans son déroulé sans toutefois la « roucoule » caractéristique du toulousain. C’est tellement bien dit qu’on se demande s’il ne lit pas des vers en réponse à chacune des questions. 

Celui qui « parle comme le vent » se dit heureux de passer par le Quai M le 6 juin prochain. « Le concert est un rendez-vous important. C’est une manière d’être relié au monde. C’est une source de bonheur, une nécessité vitale. On aime jouer. Ensemble. J’aime savoir que Nadia et Yamina (Nid El Mourid, deux sœurs berbères) et leurs voix sublimes sont là. Près de moi. Lo’Jo est plus qu’un groupe. C’est une réunion autour d’une pensée, d’une conception particulière du monde. C’est au-delà de la musique. Lo’Jo aurait très bien pu être une coopérative agricole. Il y a une dimension politique dans ce que nous faisons. À travers la musique, nous nous questionnons sur la notion de partage, de hiérarchie, d’autorité. Et c’est ainsi depuis nos débuts dans les années 80. »

Dans le subconscient collectif, le répertoire de Lo’Jo est catégorisé musique du monde. « Ça ne me plait pas beaucoup. Ça signifie qu’il y aurait une dichotomie entre ce qui est lointain, exotique et ce qui est occidental et européen. Qu’il existerait des musiques hors du monde. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. » 

Aujourd’hui le monde, Denis Péan, le qualifie de douloureux en atteste la résurgence de nombreux conflits. « Je suis allé jouer dans des endroits qui aujourd’hui ne sont plus accessibles car trop dangereux, je pense notamment à une partie du Sahara. C’est assez démoralisant quand on y pense. » Mais faut-il pour autant se désespérer ? « Je suis assez optimiste. Notamment quand je vois l’enthousiasme et la débrouillardise de certains jeunes. L’autre jour, j’ai rencontré des trentenaires à côté de chez moi. Je les ai trouvés beaucoup plus intelligents que moi à leur âge. Très concernés par le monde qui les entoure. Alors oui, c’est une minorité parce qu’ils sont dans un tout petit village. Mais il ne faut pas oublier que ce sont les minorités qui ont fait bouger le monde. »

Lui qui l’a parcouru, ce monde. Lui qui a vécu en communauté un peu partout, expérimente désormais la quasi-solitude « C’est une nouvelle façon de goûter la vie. » Le voyage lui manque-t-il ? « Je n’ai pas besoin d’aller loin pour voyager. Et puis j’ai eu la chance de beaucoup partir parce que je gagnais ma vie comme ça et parce que Lo’Jo a été plus connu, plus respecté à l’étranger qu’en France. Aujourd’hui, notre terrain de jeu géographique se réduit. Faire des concerts en Angleterre avec le Brexit c’est plus compliqué. Même chose avec les États-Unis. Et puis, je me questionne beaucoup sur le coût environnemental d’une tournée. »

En attendant, Denis aime voir son jardin pousser comme bon lui semble. « Tu prévois de la place pour une plante. Tu penses qu’elle va grandir comme tu le souhaites. Elle meurt. Et c’est une toute petite pousse insignifiante que tu avais mis de côté, qui va, au final, prendre toute la place. C’est ça la vie. Ce sont des surprises ». Il se remet aussi en question tous les jours et pense à de nouvelles chansons. Quand on lui fait remarquer que « Feuilles Fauves » n’est sorti que depuis quelques mois, il répond : « je suis obnubilé par le prochain disque. J’ai tout en tête même si je n’ai encore rien écrit. D’ailleurs j’écris de moins en moins de mots. Je n’ai plus besoin d’artifices à foison comme au début. Je sais ce que je veux dire. Je vais à l’essentiel. Je tamise. Pour ne garder que le plus précieux. »

Et si la musique ne l'avait pas happé ? « C’est vrai que la question ne s’est jamais posée tant la musique a toujours été là. Mais j’aurais créé une communauté agricole. Le collectif, c’est le terreau de tout. » 

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