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Charlotte Serrand : « Au cinéma, la musique est une langue »

ENTRETIEN AVEC ADÈLE FUGÈRE

Du 16 au 22 octobre, La Roche-sur-Yon accueille la 14e édition du Festival International du Film. Au menu de cette riche et foisonnante semaine de cinéma, des films de tous horizons et de toute durée, des rencontres, une compétition mais également des concerts et des projections musicales, prétexte tout trouvé pour questionner Charlotte Serrand, sa Directrice artistique, sur le lien qui lie, selon elle, ces deux domaines artistiques.

Adèle Fugère (AF) : La collaboration entre le Festival, le Fuzz’Yon et le Quai M ne date pas d’hier.

Charlotte Serrand (CS) : Non, c’est vrai. Elle est là depuis le début. À l’époque, Yannick Reix avait déjà mis en place des concerts. C’est une envie qui a perduré et qui s’est même développée à l’arrivée de Paolo Moretti, mon prédécesseur. C’était d’ailleurs très important pour lui de créer une synergie entre le Festival et les différentes structures de la ville que ce soit le Fuzz’Yon à l’époque mais aussi le Grand R ou le musée. Et c’est très naturellement, qu’on continue, aujourd’hui, dans cette lancée.

AF : Est-ce important que le Festival ne vive pas seul, dans une sorte d’entre-soi ?

CS : Oui, très. C’est un vrai enrichissement de faire se croiser les différents arts à travers diverses structures. C’est d’ailleurs une démarche qui se retrouve beaucoup dans les films. Mettre en place des expositions en collaboration avec le musée de la ville permet de tisser des relations plus étroites avec le lieu et d’aborder le cinéma d’une autre manière. Avec une autre sensibilité. Un regard particulier. C'est une façon de rentrer dans le cinéma par une autre porte que celle justement du cinéma. C’est la même chose pour la musique. Je me souviens que pendant la période de la Covid, les concerts n’étaient pas autorisés. On a quand même réussi à projeter des films au Fuzz’Yon tels que « Suprêmes » d’Audrey Estrougo et le documentaire « Summer of Soul » de Questlove. Voir des films musicaux dans une salle de concert prend alors tout son sens.

AF : Pour rester dans le domaine de la musique, l’année dernière le Festival accueillait Vitalic pour une soirée-concert. Cette année c’est l’auteur-compositeur et musicien Fakear qui s’y produit.

CS : Oui et on est ravis. Cette soirée est importante pour le Festival.

AF : Comment le choix de l’artiste se fait ?

CS : En totale collaboration avec le Quai M. Et très simplement. C’est un dialogue et un échange régulier notamment avec Benoit Benazet, le Directeur de la scène de musiques actuelles, entre nos envies, les disponibilités des artistes et, dans la mesure du possible, le lien que l’on peut faire avec le cinéma. Et pour cette 14e édition, Fakear nous paraissait être la bonne personne. Il n’y a qu’à regarder ses clips. La façon dont il métamorphose l’image, l’expérience visuelle associée et sa mise en mouvement des images en sont les meilleures preuves. La proposition qu’il nous fait est complète et ce sera à n’en pas douter un très beau moment.

AF : Une partie de la programmation du Festival s’intitule « Music Hall ». Qu’est-ce que c’est ?

CS : Ce sont des films présentés, ici, en première française et qui entretiennent une relation particulière avec la musique.

AF : Pourquoi avoir voulu, dès l’année dernière, distinguer les films musicaux en créant cette catégorie « Music Hall » ?

CS : Pour être très honnête, je ne souhaitais pas forcément créer une catégorie particulière parce que, selon moi, la musique fait partie intégrante d’un film. Mais je trouvais que depuis quelques années, il y avait de plus en plus de propositions cinématographiques sur la musique. C’est un autre rapport au cinéma. Là aussi une autre façon de l’aborder et d’en parler. Avec toujours cette idée en tête que ce sont des films à part entière et pas des sous-catégories. D’où « Music Hall ».

AF : Cette année, il y a pas mal de documentaires, notamment un sur la chanteuse capverdienne Césaria Evora, un autre sur l’autrice-compositrice et interprète américaine Joan Baez. Et puis, y a cet ovni de 20 minutes intitulé « Moderat » : The Last Days ».

CS : Oui, c’est un court métrage d’Elisa Mishto et Alexandre Powell qui montre la fin d’une collaboration professionnelle entre les membres du groupe électro allemand Moderat mais avec un vrai traitement cinématographique. C’est très poétique avec des portraits en noir et blanc très intimes qui se livrent face caméra dans une atmosphère entre crépuscule et aube qui joue justement sur cette fin d’histoire commune et l’ouverture sur une autre. Il y a un vrai point de vue artistique et visuel. C’est vraiment très beau.

AF : Fais-tu la différence entre film et documentaire ?

CS : Non. Pour moi, un film est un film. Il raconte quelque chose. Je n’ai pas envie de tout catégoriser. L’intérêt du cinéma c’est qu’il est multiple. C’est d’ailleurs l’esprit même du festival. Il est généraliste, ouvert à toutes propositions. On peut donc y trouver de la fiction mais aussi des documentaires qui ne sont pas forcément classés dans la case « docu » mais qui, à mon sens, ont quand même toute leur place dans une programmation globale et ouverte. Le Festival propose même des clips. Ça peut paraitre très éloigné du « milieu » du cinéma parce que, par définition, ce sont des choses très courtes. Mais là encore, ce n’est pas la durée qui détermine le film. C’est tout le travail de Nicolas Thévenin de la revue Répliques d’aller chercher des clips qui sont de vrais « objets » cinématographiques. C’est le cas du dernier des Daft Punk « Infinity Repeating » qui est proposé et diffusé sur grand écran, dans une salle de cinéma, comme un « vrai » film.

AF : Est-ce qu’un film peut exister sans musique ?

CS : (soupir de réflexion) En tout cas pour moi ça va au-delà de la notion de musique avec une partition et des notes. C’est aussi très lié au son. C’est un langage à part entière. Quand je regarde un film, ça m’intéresse de savoir comment apparait le son, comment il disparait, comment il est traité, comment il est mixé. Il y a des films plus au moins silencieux qui jouent justement avec cette notion de silence. Le silence est, à mon sens, une musique en soi. Quand il n’y a plus de son dans un film, il prend alors toute la place et peut-être assourdissant. On peut même se surprendre à écouter le silence et à le trouver très musical. Donc pour répondre pleinement à ta question, j’ai du mal à imaginer un film sans son et donc sans musique.

AF : Les concerts de musiques de films, pour certains orchestrés par les compositeurs eux-mêmes comme John Williams, Hans Zimmer ou, plus proche de nous, Eric Serra pour ne citer qu’eux, ont actuellement beaucoup de succès. Les salles de concert ne désemplissent pas. Comment expliques-tu cela ?

CS : Je crois que c’est lié à l’intime et à la mémoire. Ça ramène à l’enfance. C’est affectif. La musique, comme les images, permet une forme d’histoire, de récit. Et puis c’est une expérience communautaire. Aller voir un film au cinéma c’est faire une expérience à plusieurs. Même chose pour un concert. Ce n’est que du partage.

AF : Ton métier t’oblige à voir beaucoup de films. Mais as-tu été marquée par un film « musical » en particulier ?

CS : C’est intéressant comme question… Je vais revenir à l’enfance. « Amadeus » de Milos Forman a été un des premiers films que j’ai vu petite au cinéma et il m’a profondément marquée. La musique y est évidemment très importante de par le sujet mais le rire de Mozart dans ce film… Le son de ce rire… Un rire très angoissant, de fou, qui prend toute la place. Je l’ai vraiment reçu et ressenti comme une musique à part entière.

AF : Qu’est-ce qu’une bonne musique de film, selon toi ?

CS : Elle doit provoquer une expérience physique chez le spectateur. Elle doit compléter l’image. Dire des choses que cette dernière ne peut peut-être pas faire. Elle n’est pas juste une illustration qui viendrait de temps en temps se plaquer au reste. C’est une langue. Une vraie langue.

14e Festival du Film de La Roche-sur-Yon. Du 16 au 22 octobre 2023.

Retrouvez toute la programmation sur www.fif-85.com

Thomas Badreau

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