LES RÉCAPITULATIFS MUSICAUX DE FIN D’ANNÉE

Cela n’aura échappé à personne. Nous sommes présentement en période de contraintes réjouissances festives sapinées, saumonées et arrosées. Très arrosées en ce qui me concerne, seul stratagème trouvé - soyons honnête, je n’ai pas beaucoup cherché - pour tenter de supporter le marathon de la bouffe qui m’attend et esquiver les conversations polémiques et dérangeantes engagées autour d’une dinde trop cuite - je ne parle pas de Tata Josiane - mise en abime (du verbe « abimer ») par ses ballotins de haricots verts et lard fumé dont la consistance ressemble à s’y méprendre à du pneu.

C’est la fin de l’année. C’est le moment des bilans. Et que vous le vouliez ou non, que vous le souhaitiez ou non, que vous le fassiez sérieusement ou par-dessus la jambe parce que vous êtes beaucoup plus souple que moi, vous faites le point. C’est pavlovien. Inconscient. Systématique. Qui dit mois de décembre dit inventaire. De tout. Du boulot. Des proches. Des envies. Des déconvenues. Des joies et des désillusions. Arrêtez de faire non avec votre tête, c’est parce que vous faites un bilan conscient ou instinctif au mois de décembre que votre liste de bonnes résolutions fait 11 pages le 1er janvier pour se réduire à la taille d’un post-it le 2. Je vous connais et je me connais aussi.

Même dans le secteur musical, les récapitulatifs de fin d’année sont tendance. Abonnés de Spotify, Deezer ou Apple Music, vous n’êtes pas passé à côté de vos rétrospectives Wrapped, My Deezer Year ou Apple Music Replay. Pour ceux et celles qui ne comprendraient absolument rien à cette logorrhée d’anglicismes et pour vous la faire courte, ces applications musicales font, au mois de décembre, un résumé de vos écoutes depuis le mois de janvier pour en ressortir les titres et les artistes que vous avez le plus écoutés.

Vous me direz qu’y-a-t-il de dérangeant à cela ? Je vous répondrais, absolument rien. Constater que le titre numéro 1 de vos écoutes 2023 n’est pas « Prayer At the Gate » de PJ Harvey comme vous le pensiez, mais « La Goffa Lolita » de La Petite Culotte, il y a certes plus grave mais, entre nous, vous conviendrez quand même que l’atterrissage est quelque peu brutal. A cette déconvenue ORLienne - oui, parce qu’on est en droit de pressentir une baisse radicale de l’ouïe devant tant de vide mélodique -, vous avez une excellente explication doublée d’une très bonne excuse. Une progéniture. Qui se fout royalement de savoir que Polly Jean est votre queen, préférant hurler à la mort dans l’habitacle de la Kangoo, lors des trajets domicile-école/école domicile, « Mais c’était qui ? Mais c’était ? Mais c’était qui ? », vous demandant, le sac à dos Eastpack à peine posé dans le coffre de la voiture, de mettre en bluetooth et pleine balle, via votre smartphone, Loli, Lolo, Lola et comme si ça ne suffisait pas la cousine Lolita dans les enceintes fatiguées de votre 5 portes. Votre rétrospective musicale de 2023 est certes à un niveau proche du caniveau mais ça reste en famille. C'est confidentiel. Ça ne dérange personne. Soyez-en grandement remercié ici.

Mais il s’avère que d’autres ne se contentent pas de garder cela dans la chaleur du cocon familial. Ils en font profiter la galerie et partagent leur bilan Spotify, Deezer ou Apple Music à coup de story Instagram, de post Facebook ou de commentaires sur X (ex-Twitter) alors qu’on ne leur a strictement rien demandé. Quel est leur projet ? Quels sont leurs réseaux ? Qui les coiffe ? Y a-t-il un intérêt quelconque à voir leur classement ? Soyons direct. Aucun. D’ailleurs, les statistiques montrent, dans leur grande majorité, que les récapitulatifs musicaux ne sont ni lus ni regardés par les communautés pour une simple et unique raison. Tout le monde s’en cogne. Mais force est de constater que le phénomène grossit d’année en année. Ce classement est apparemment aussi attendu par certains que le calendrier de l’avent, les chocolats en moins mais la crise de foi(e) en sus. Il est alors de bon ton de montrer aux autres ses goûts musicaux, ses tendances et ses trouvailles. Ce serait une manière d’exister socialement. Dans ce cas, pourquoi ne pas instituer la recap « bouffe », sport voire porno ? Je vois déjà les commentaires : « 23 fondues dans l’année Lulu ?! Va peut-être falloir penser à mettre un peu de laitue dans tout cela » ; « un bilan sport proche du néant, Titouan ?! On va dire que c’est ta dyslexie. « Raclette » et « raquette », ça se joue à deux lettres près, c’est quand même sacrément ballot » ; "une rétrospective porno, Francisco ?! », je vous laisse deviner la suite. 

Tout cela pour dire quoi ? Que partager, de temps en temps, un coup de cœur musical aura beaucoup plus de portée que montrer à la cantonade votre année en chansons. On écoute plus facilement un seul titre préconisé par une relation qu’un album entier. Alors la compilation de vos meilleurs tubes 2023 autant vous dire que ce ne sera pas la bande son du réveillon de vos followers. Et puis, faites attention, dans le lot, il y a forcément un titre inavouable, caché, non assumé, consulté et écouté un soir de beuverie à 4h du matin comme « Les Lacs Du Connemara », « Sans Chemise Sans Pantalon » ou « La Goffa Lolita » (Cf. la Kangoo). Ce serait bête de raser une réputation alors que vous avez mis des années à vous poser en expert de Neil Young.

Je vous souhaite malgré tout de belles fêtes musicales de fin d’année. On se retrouve en 2024. Ne vous inquiétez pas, on fera « reset » de tout.

Même de Loli, Lolo, Lola et Lolita.

Surtout de Loli, Lolo, Lola et Lolita.