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FYRS, doux et subtil à la fois

ENTRETIEN PAR ADÈLE FUGÈRE

Rencontrer Tristan Gouret - aka FYRS - c’est d’abord lui parler d’en bas. Le garçon est grand. Il pourrait d’ailleurs en imposer mais il n’y a qu’à regarder la façon qu’il a de se déplacer ou de retirer le casque de ses oreilles pour percevoir toute la délicatesse du bonhomme. Délicatesse que l’on retrouve dans sa voix, dans les « double parenthèses » qui entourent son sourire et dans son regard un tantinet rieur derrière ses lunettes rondes et noires devenues désormais signature. FYRS respire la douceur. Sous ses airs d’adulte, il a ce quelque chose de l’enfance. Mais loin d’être un naïf de (seulement) 25 ans, il est un subtil observateur de la société, de sa génération et du milieu musical dans lequel il évolue. Il sait exactement ce qu’il est, où il se trouve, où il souhaite aller et surtout avec qui.

Travailleur de prime abord solitaire, il a besoin des autres à l’image de son (très beau) premier album sorti en avril dernier et intitulé « A Big Dream » co-produit par Johannes Buff et Pierre Loustaunau - alias Petit Fantôme - qui a notamment travaillé avec François And The Atlas Mountains. Dans ce premier « grand rêve », il faut savoir lire entre les lignes et ne pas se contenter de cette « pellicule » colorée de pop teintée d’indie et de folk. FYRS, tout en étant extrêmement abordable, est plus complexe, plus mélancolique dans la musique et dans les textes. Il ne nous en fallait pas plus pour que cela « titille » notre curiosité. C’est sur la terrasse du Quai M que FYRS nous a donné rendez-vous pour un entretien au long cours.

Adèle Fugère (AF) : Tu nous a donné rendez-vous au Quai M. Ce n’est pas anodin parce que tu vis à La Roche-sur-Yon et tu as dit, dans une précédente interview, que le Quai M était un peu comme être à la maison.

FYRS : C’est exactement ça. Mais je te rassure, je n’arrive pas ici en caleçon et chaussettes (rires) ! J’aime bien avoir un lien simple mais fort avec certains lieux. C’est le cas avec le VIP à Saint-Nazaire. C’est le cas ici au Quai M. L’équipe est vachement mignonne. Et avec Benoit (Bénazet - directeur du Quai M) on a souvent des discussions. Il m’apporte sa vision sur le développement, la programmation. Il me parle de l’évolution de l’écosystème musical actuel. Il me fait prendre un peu de hauteur. C’est très intéressant. Sans compter que l’équipe technique et celle des studios dans lesquels je répète régulièrement sont vachement sympas. Je suis très chouchouté ici. Je me sens suivi et soutenu. En tant qu’artiste, on a besoin de cela parce que, dans le fond, on est quand même assez seul. Et je n’ai pas forcément envie, en ce qui me concerne, de vouloir tout faire dans mon coin. Donc c’est très agréable de se produire et de travailler ici.

AF : Tu es guitariste-auteur-compositeur à seulement 25 ans. D’où vient cette appétence pour la musique ?

FYRS : Il existe une photo de moi petit, je dois être en CM2, il y a un seau, une pompe à vélo et une raquette de tennis. La pompe à vélo me sert de micro et la raquette de guitare. Ma mère en voyant cela s’est dit que j’avais peut-être envie de jouer d’un instrument. Elle m’a donc acheté une guitare, m’a inscrit à un cours. Et j’ai tout de suite accroché. Au début, j’ai reçu un enseignement classique avec du solfège et puis j’ai eu la chance de tomber sur un prof plus instinctif dans l’approche. Il m’a fait reprendre des musiques que j’aimais à l’époque comme Coldplay, Radiohead ou Angus et Julia Stone. Ensuite, au collège, j’ai commencé à chanter en faisant des reprises. Mes propres compositions sont arrivées en Seconde avec un premier groupe de musique. Mais l’aventure s’est terminée en Terminale parce que je savais déjà dans quel style musical je souhaitais aller, notamment l’indie anglais des années 2010-2011-2012. Mais quand tu es en groupe, tu dois faire des concessions ce qui est tout à fait normal, et je ne voulais ni me battre ni imposer quoi que ce soit aux autres. Je voulais juste expérimenter d’autres choses. J’ai donc repris ma liberté.

AF : Justement tu parles d’indie. Ton premier album, sorti en avril dernier et intitulé « A Big Dream » est catégorisé pop-indie-folk, est-ce que tu te reconnais là-dedans ?

FYRS : Le côté pop est présent dans deux morceaux de l’album : « A Big Dream » et « Fake Fake Fake ». Ils sont courts, pop dans la structure, plus enfantins aussi. C’est d’ailleurs ce que j’adore dans la pop. Ce truc hypra joyeux et coloré. Mon personnage de scène qui évolue dans un univers plein de couleurs est aussi dans cette veine-là. Mais je crois que le reste de l’album est assez différent. Pour être franc avec toi, je me retrouve plus dans l’indie que la pop pure. Mais j’ai une conception de ce mot qui, je crois, est plus anglo-saxonne que française. En France, le terme de « indie » est un peu fourre-tout alors que de l’autre côté de La Manche, c’est un vrai style. Si tu dis en Angleterre que tu fais de l’indie, ils savent tout de suite de quoi tu parles alors qu’en France c’est un peu plus flou. Pour moi, l’indie c’est un mix entre la pop, la folk avec une pointe d’électro et des synthés.

AF : Comment se passe le processus de création?

FYRS : Ça part de l’instrument. Une guitare, un piano. Pour ce premier album, ce fut la batterie. Je ne peux pas vraiment t’expliquer pourquoi mais c’est un instrument que j’adore et comme j’aime la rythmique… À partir de là, j’installe une atmosphère. Ça devient une boucle sur mon logiciel que je fais tourner indéfiniment. J’y appose ensuite une mélodie. Puis un « yaourt » chanté (rires) pour la voix principale. Et pour finir, je rajoute les choeurs. Une fois que j’ai ce mille-feuille, j’obtiens une ambiance. Et c’est à partir de ce moment-là que j’écris.

AF : Donc les paroles te viennent en fonction du climat musical…

FYRS : C’est ça. Je ne pars pas des paroles. Je me surprends quand même à vouloir de plus en plus écrire sur une idée précise ou un thème particulier. Par exemple en ce moment, j’écris une chanson sur un souvenir d’enfance : devenir footballeur. Il y a beaucoup de références à mon père… Et c’est cette nostalgie, ce retour sur le passé qui va m’amener à créer une mélodie enfantine, sensible voire mélancolique.

AF : Dans ce processus de création, tu préfères être seul où as-tu besoin de t’entourer ?

FYRS : Dans un premier temps, je créé seul. Dans un second temps, je collabore. Sur « A Big Dream », j’ai voulu travailler avec Nicolas Audouin pour sa clarinette, notamment basse et légèrement jazzy, et Cécile Lacharme pour son violoncelle. Je savais qu’ils seraient tous les deux de vraies valeurs ajoutées au projet et qu’on pouvait aller ensemble dans la même direction. Donc j’ai écrit des choses. Puis je leur ai données. Ils ont « digéré » tout cela et m'ont retransmis leur vision, leur approche, leur touche, leur sensibilité qui m’ont évidemment complètement convaincu. Même chose avec Johannes et Pierre (les deux producteurs). Sans leur regard, la qualité de leur travail, nos échanges, notre entente et l’humanité qui dégage d’eux, je ne serais jamais arrivé à « A Big Dream » qui me correspond parfaitement. J’ai besoin de ma liberté mais j’ai aussi besoin de bonnes bases, de bonnes fondations, de bons camarades pour construire une belle maison qui tient dans le temps.

AF : L’album est en anglais. Ton précédent EP « Lost Healing » l’était également. Pourquoi ?

FYRS : C’est plus naturel pour moi d’écrire en anglais. Petit, mes parents n’écoutaient que des artistes anglophones. J’ai baigné dans Dire Straits, Mike Olfield, Peter Gabriel, Pink Floyd dès ma plus tendre enfance. J’avais le CD de Supertramp. Ma mère écoutait beaucoup les Beatles. J’ai vraiment la sensation d’avoir hérité d’un bagage musical familial qui a ensuite façonné mes propres gouts musicaux en piochant sur Youtube, des lives des Foals, Two Door Cinema Club et j’en passe que j’ai regardés et écoutés en boucle. Et puis je suis parti m’installer à Bristol en Angleterre pendant un an. Pas en dilettante. J’y suis allé pour devenir bilingue. Acquérir un niveau d’anglais où je pouvais être crédible sans avoir de complexes dans l’écriture, la compréhension et l’accent. Je voulais assumer pleinement le fait d’écrire et chanter en anglais. Je voulais aussi qu’un Anglais qui écoute mes morceaux ne se dise pas « Ah c’est (encore) un Français qui chante en anglais ! » (rires).

AF : Et pourtant ta langue maternelle, c’est le français…

FYRS : Oui mais je ne me suis jamais senti à l’aise avec le français. Je n’ai d’ailleurs jamais été très bon en français malgré des études littéraires que j’ai suivies seulement parce qu’elles étaient couplées avec l’option « musique ». Le français est peut-être plus précis, plus parlé. L’anglais va plus à l’essentiel. Cela n’engage que moi mais j’ai l’impression qu’en France on met en avant d’abord les paroles et ensuite la musique. Cette dernière est souvent en second plan, comme un habillage. En Angleterre, j’ai l’impression que c’est plus équilibré. Que les deux sont au même niveau. Je te dis cela et j’ai écouté dernièrement du Aznavour et je trouve que, dans ce cas précis, musique et texte sont justement au même niveau.

En tout cas, pour répondre à ta question, je ne chante pas en anglais pour me cacher derrière quelque chose. C’est tout le contraire. C’est grâce à l’anglais que j’ouvre en grand les portes.

AF : Bristol est une ville très créative, culturelle qui a vu émerger de grands artistes comme Banksy, Tricky, Massive Attack, Portishead. A-t-elle eu une influence sur toi ?

FYRS : Oui. C’est une ville pas très grande qui historiquement ressemble un peu à Nantes de par son passé de commerce triangulaire. Mais c’est surtout une ville très indépendante. Très libre. Pour te dire, quand le Brexit a été acté, elle a essayé de demander son indépendance ! Et ce côté libre et libertaire a eu pas mal de résonance en moi. Et puis, il y a une dynamique très différente. À Bristol tu as la possibilité de faire des choses pas forcément très à la mode, pas forcément dans les codes et dans les clous, mais qu’on remarque. Et surtout tu le fais à ton rythme.

AF : J’ai justement l’impression que tu as besoin de prendre ton temps. De bien faire les choses sans te trahir, est ce que je me trompe ?

FYRS : Non. En 2020 la sélection iNOUïs du Printemps de Bourges a été un sacré tremplin. Un accélérateur. Ça aurait pu aller très vite. Mais si j’avais pris cette accélération, je crois que j’aurais littéralement explosé en vol. Je me serais brulé les ailes parce que je ne me serais pas entouré des bonnes personnes. J’aurais suivi un courant facile. Je me serais réveillé un matin en me disant que ce que je faisais ne me correspondait pas et j’aurais tout arrêté. Cette prise de conscience m’a fait peur. Et grâce à cette pause forcée qu’a été le Covid, ça m’a permis de tout remettre à plat et de prendre mon temps.

AF : Tu as un univers visuel très étudié. Du noir et blanc pour ton EP. Du très coloré pour ton premier album. Faire de la musique aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et du presque tout image, sans aucune proposition graphique et scénique, est-ce que c’est encore possible selon toi ?

FYRS : Pour moi ça va de pair et c’est obligatoire. Je suis très marqué par un artiste comme Sufjan Stevens qui peut se pointer sur scène avec des ailes dans le dos et qui propose quelque chose de fort musicalement et visuellement. Mais dans ce cas, ça demande aussi pas mal d’argent. Moi, j’ai fait un truc maison qui me va bien, basé avant tout sur la matière parce que j’adore la mode, les tissus… Et c’est en découvrant l’oeuvre du brésilien Eduardo Sancinetti que l’univers de mon album s’est façonné avec ce côté très coloré et donc très visuel.

AF : Et en même temps la mélancolie est très présente sur « A Big Dream » …

FYRS : Oui. Et je crois que ce sera toujours comme ça. Je ne me vois pas faire quelque chose d’hyper joyeux. Ça ne me correspond pas du tout. J’aime l’état de mélancolie. Je trouve que c’est le truc le plus sincère. Je n’écris pas, je ne compose pas quand je suis hyper joyeux ou très très triste. La mélancolie c’est un entre-deux parfait pour moi.

AF : Depuis le début de cette interview, tu as beaucoup parlé d’expérimentation, de liberté, d’essayer des choses, de rencontrer des gens… Avec la sortie de « A Big Dream », as-tu la sensation d’être arrivé quelque part ?

FYRS : Surtout pas ! Je suis en exploration constante et totale. Surtout dans mon travail. J’aime l’idée d’essayer des choses à l’instinct. J’aime l’idée d’accidents heureux. C’est, je crois, le cœur et l’envie qui me guident. Moins le cerveau. Quand on réfléchit trop on s’empêche souvent de faire des choses. J’aime les surprises. Et je crois que je vais continuer sur ce chemin pendant un petit bout de temps.

« A Big Dream » de FYRS est sorti le 7 avril 2023.

Le 11 août en concert, dans le cadre du Festival La Déferlante d’Eté à Notre Dame de Monts.

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