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DIS-MOI QUELLE SONNERIE TU CHOISIS, JE TE DIRAI QUI TU ES ?

PAR ADÈLE FUGÈRE
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Saviez-vous ce que vous faisiez le 20 avril 2019 ?

Moi oui.

En tout cas mon profil Facebook.

Car si j’ai été dotée dès la naissance d’une mémoire de poisson rouge, Facebook lui n’oublie rien et m’a fait revivre dernièrement une anecdote tombée aux oubliettes. Magie des réseaux sociaux !

Vous me direz quel est le lien avec notre marotte commune, la musique ? Rien. Du moins pour le moment, mais n’ayez crainte, il y a une logique à tout cela. Du moins j’espère.

Le 20 avril 2019, j’étais au rayon poissonnerie.

Je sais. Ma vie est une fête.

J’étais là, au milieu des effluves d’alevin, hésitant entre rouget et maquereau quand soudain, la sonnerie de téléphone de Monique retentit. Septuagénaire fringante, apparemment sortie tout droit du salon de coiffure attenant l’étale de la criée - en attestaient les émanations de laque Elnett d’une choucroute bleutée déjouant les lois de la gravité qui, mélangées à celles de la poiscaille, constituait un cocktail olfactif des plus audacieux -, fraichement ravalée d’un bronzage (Monique, pas la poiscaille) dont le pantone se situait entre « bronze » et « moka », hâle obtenu certainement sur une plage plus méditerranéenne qu’atlantique, et affublée du numéro 84, soit deux rangs devant moi dans la file d’attente, Monique donc, m’agressa moi, mes oreilles ainsi que celles des quelques congénères qui, en ce début de matinée, comataient sagement en attendant leur tour, d’une tonitruante BO de « La soupe au choux ». Pour ceux et celles qui seraient passés à côté de ce chef d’œuvre du cinéma français, « La soupe au choux » est un film de science-fiction très engagé sur la question de la vie extraterrestre réalisé par Jean Girault dont la « mélodie folk électronique synthpop d’inspiration bourbonnaire » (définition wikipédienne) de Raymond Lefèvre dégoulinait présentement par tous les bouts dudit portable de Monique. Autant cette « attentat auriculaire » nous fit perdre à tous quelque acuité, autant cela ne gêna absolument pas Momo qui, en prime, nous fit partager sa conversation tout aussi retentissante avec un certain Jean-Louis qui s’inquiétait de l’état de fraicheur des bulots.

Ça n’a l’air de rien, mais je me suis demandée pourquoi Monique avait choisi cette

« Soupe au choux » comme sonnerie de téléphone? Pourquoi celle-ci et pas une autre ? Qu’avait-elle d’important pour elle ? Etait-ce par goût pour la musique disons expérimentale ? Pour la science ? Par amour pour Louis de Funès ? Parce que Jacques Villeret, affublé de son costume de Télétubbies, lui faisait penser à son regretté fils ? Nous ne le saurons jamais et c’est une bonne nouvelle pour l’Humanité.

Mais au-delà de Monique, ses bulots, sa soupe et son taux de laque responsable à n’en pas douter du réchauffement climatique ambiant, notre sonnerie de téléphone est-elle le reflet de ce que nous sommes ? De qui nous sommes ?

Dis-moi quelle musique de sonnerie tu choisis, je te dirai qui tu es.

Je sens déjà poindre en vous deux choses.

D’abord, la rancœur. À cause de moi, la bande son de votre journée est désormais celle de « La soupe au choux » et ce n’était absolument pas prévu à votre programme (ne me remerciez pas). Ensuite, le doute. J’en vois déjà certains cliquer sur « réglages » et changer de sonnerie.

Car oui, choisir une musique pour sa sonnerie de portable n’est pas anodin.

C’est un choix délibéré, réfléchi, important qui a vocation à être entendu à chaque fois que l’on reçoit un appel. Dès lors, le mode silencieux n’existe pas ou est très peu enclenché, sinon à quoi bon ce morceau si particulier ! Il reflète quelque chose de soi. Quelque chose d’unique, de singulier loin des banales sonneries « pivert » ou « carillon ». Vous êtes fans des Arctic Monkeys, il est fort probable que « Do I Wanna Know » ou « I Bet You Look Good On The Dancefloor » retentissent. Vous préférez Debussy, son « Clair de Lune » sera votre marque de fabrique. Ce choix musical est alors une empreinte, une griffe, un marqueur qui vous qualifie. On dit souvent que l’intérieur d’une maison reflète son propriétaire dans le choix des meubles, des matières, de l’agencement. Epuré ou encombré de bibelots ? Monochrome ou coloré ? Sombre ou clair ? Le choix de la sonnerie c’est un peu la même chose. Il est ce que l’on est. Ou du moins ce que l’on veut montrer.

C’est aussi une façon de personnaliser son portable. Si on réfléchit cet objet est, tout bien considéré, le même pour tout le monde qu’il soit flocké ou non d’une pomme à demi croquée. C’est un rectangle de quelques centimètres extra plat. Qu’est-ce qui distingue alors mon rectangle de celui d’à côté ? Trois choses principales : la couleur de la coque. Le fond d’écran. Et la sonnerie.

Dans une autre vie, j’ai assisté à une réunion du « Directoire ». Il y avait là le Directeur des formations, la Directrice de la communication, le Directeur des flux, le Directeur financier, le Directeur des directeurs et le Directeur du Directeur des Directeurs. Bref, les discussions étaient sérieuses. Les graphiques complexes. Le Power Point préparé de longue date. Les rides du lion creusées à la lecture des chiffres qui n’étaient pas bons. Autant vous dire que « Le Petit Bonhomme en Mousse » de Patrick Sébastien sortant tout droit du sac de ma voisine de droite fit son petit effet alors que le Directeur financier - drôle comme une porte de prison - suivait du doigt la courbe des recettes qui s’enfonçait dangereusement dans les abimes de l’abscisse. Contrite, elle mit un terme à ces beuglements au bout d’un temps interminable renversant la totalité de « son animal de compagnie » sur son mémo pour couper définitivement le sifflet à Patrick en finissant sur ces mots admirables : « Pardon, c’était mon mari ». Mue par un esprit des plus malicieux, je me surpris à me demander quelle sonnerie aurait-elle choisie si son amant avait appelé. « Love To Love You Baby » de Donna Summer ?

Parce que oui, on personnalise aussi musicalement ses contacts.

Savez-vous quel est le point commun entre un appel de votre patron, de votre belle-mère ou de votre banquier ? Celui-ci est caractérisé par la même sonnerie : soit le thème de Dark Vador composé par John Williams pour « Star Wars », soit celui de la douche composé lui par Bernard Hermann pour le film « Psychose » d’Alfred Hitchcock. Je vous laisse à vos conclusions mais vous conviendrez que nous sommes loin de la Compagnie Créole ou d’une quelconque musique de bamboche. Faites le test et demandez-vous quelle sonnerie vous choisiriez pour votre fils, fille, meilleur (e) ami (e), père, mère, si ce n’est déjà fait.

Alors oui, ce constat ne s’appuie que sur des expériences et conclusions personnelles et non sur une étude précise et sérieuse cherchée en vain. Certains s’inscriront certainement en faux. Mais je ne peux finir sans évoquer avec espièglerie l’anecdote croustillante du maire de Levallois Perret qui, bon an, mal an, vient quelque peu étayer tout cela. En mai 2019, le téléphone portable de Patrick Balkany poursuivi pour fraude fiscale et corruption passive, retenti en prétoire du tribunal correctionnel de Paris. Ce dernier n’avait pas daigné le mettre sur silencieux ou mode avion comme il l’est demandé avant chaque audience. Mieux, il s’agissait du thème des « Tontons Flingueurs ». Pas la musique du générique mais celle qui apparaît à chaque fois que Fernand Naudin (Lino Ventura) règle ses comptes. Cocasse, non ?! On peut supposer que celle-ci était peut-être le reflet de son état d’esprit du moment…

 

Je vous laisse désormais réfléchir à votre sonnerie. Votre musique.

Prenez votre temps.

Choisissez-la bien.

Et si cela peut vous aider, sachez que Jean-Paul Belmondo avait aussi trouvé la sienne.

À chaque fois qu’on l’appelait, c’est la musique de « Borsalino » qui retentissait.

Vous ne trouverez pas plus classieux.

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