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LE T-SHIRT A L’EFFIGIE D’UN GROUPE DE ROCK

PAR ADÈLE FUGÈRE

On ne va pas se mentir. Les temps sont un tantinet inconfortables.

Entre une Covid en embuscade, une guerre en Ukraine, une assemblée nationale chauffée à blanc et le revival de la tatane-chaussette sur mollet blanc au premier rayon du soleil, l’étincelle de joie, d’optimisme et de sérénité que tout le monde recherche dans ce brouhaha ambiant ressemble à s’y méprendre au totem d’immunité de Koh-Lanta. C’est avec les dents qu’il faut aller la chercher.

Et je vous avoue que ma sérénité à moi ne trouvera son salut qu’à la réponse d’une question qui me taraude depuis des semaines, que dis-je, des mois :

Est-il acceptable de porter un t-shirt à l’effigie d’un groupe de rock alors qu’on n’est même pas foutu de citer une de ses chansons ?

Alors oui, je subodore une légère déception. Vous vous attendiez à des tergiversations hautement plus philosophiques à l’instar d’un Lévi-Straus – le sociologue pas la marque de jeans – se questionnant sur l’anthropologie structurale. Mais que voulez-vous, on a les atermoiements que l’on mérite et cette question est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. Ma santé mentale en dépend.

Allons donc droit au but. La réponse est non.

Du moins pour les passionnés de musique qui stipulent dans une étude réalisée pour Rush Order Tees (site marchand de customisation de t-shirts) qu’il faut au moins connaître pas moins de treize titres avant de prétendre porter le fameux t-shirt. Et treize titres, c’est beaucoup. C’est un album entier. Mais il existe des personnes qui peuvent s’enorgueillir de cela. On les retrouve généralement dans une catégorie socio-musicale plutôt sonore : les métalleux. Mathématiquement, ils ont la plus grande collection de t-shirts à l’effigie de leur groupe de rock préféré. Celui-ci est un étendard, un signe de ralliement, d’appartenance à une vraie communauté et se porte fièrement lors des concerts. Preuve en est, les dernières images du Hellfest à Clisson. De facto, je mets ces messieurs-dames hors catégorie.

Je parle des autres. Parce qu’on a tous croisé au moins une fois une petite minette, le t-shirt floqué d’un AC/DC ou d’un Nirvana rentré dans un pantalon taille haute ou un garçon arborant fièrement un KISS jaune sur fond noir. Alors je ne dis pas que certains ou certaines ne sont pas des aficionados de la bande de Kurt Kobain ou des fans du jeu de jambes d’Angus Young, mais dans certains cas, permettez-moi d’en douter.

J’en ai fait moi-même l’expérience. Je croise, lors d’une soirée, une jeune femme stylée en diable, un t-shirt Joy Division sur le dos associé à un pantalon de costume taillé à la perfection tombant sur des escarpins des plus classieux. Un mixte audacieux certes, mais très efficace au point que cette combinaison « rock-chic » me donne envie d’engager la conversation avec elle :

« Je vois que vous avez un faible pour le groupe de Ian Curtis !

— Pardon ? Qui ?

— Votre t-shirt

— Ah oui. Je l’adore !

— Vous aimez Joy Division alors ?

— Alors on ne dit pas Joy Division, on dit Joie Division. »

Je venais de me faire remettre en place par une jeune femme qui, apparemment, n’avait jamais entendu parler de Curtis et de son groupe mancunien, et qui, à en croire sa communication corporelle des plus hautaines, me prenait pour la cousine de la famille Pierrafeu doublée d’une huitre me reprenant sur la prononciation bien française, selon elle, de « Joie Division ». Je vous laisse imaginer la phonétique si elle avait porté un t-shirt à l’effigie du groupe Prefab Sprout. Mais ne voulant pas rester sur une mauvaise impression et me disant que c’était peut-être moi qui m’étais mal exprimée, je remis une pièce dans la machine :

« Unknown Pleasures  ça vous dit certainement quelque chose ?

— Ben oui c’est de l’anglais. Je suis bilingue ! »

N’en jetez plus, j’étais refaite. J’ai remercié la jeune femme de cette très instructive conversation et prétextant une envie de me pendre, je me suis doucement reculée en faisant le moins de gestes brusques au cas où une salve de vide ne m’atteigne et surtout ne m’achève.  

Alors ne vous m’éprenez pas, je ne lui jette pas la pierre. Du gravier suffira car j’ai succombé moi-même aux affres de la mode rock and rollesque. J’ai affublé ma progéniture, alors que celle-ci n’avait pas 7 ans, - et n’avait surtout rien demandé -, d’un Aladdin Sane sur un sweat rose à vous claquer un décollement de rétine. Je trouvais ça rock, décalé, limite rebelle et sauvage. Jonis Joplin est rebelle et sauvage. Pas un sweat taille 6 ans avec un Bowie décharné, cheveux en brosse, vous regardant bien en face, à donner des cauchemars à tous les mômes du quartier. Je voyais bien que ma descendance n’était pas hyper emballée par mon zèle space odditesque, lorgnant avec insistance sur un sweat « Pat’Patrouille » des plus vulgaires selon moi. D’ailleurs, je crois que le fruit de mes entrailles m’en veut encore aujourd’hui et attend patiemment sa majorité pour me coller un procès pour maltraitance dès que j’aurai le dos tourné.

Car oui, porter un t-shirt à l’effigie de son groupe préféré n’est pas chose anodine. D’ailleurs avez-vous remarqué que ce sont les groupes de rock plutôt vintage qui sont les plus portés. La pop est beaucoup moins représentée. C’est rare de croiser un Taylor Swift ou un Patrick Fiori au détour d’une rue, à part dans les concerts des deux susnommés. Le milieu du rap est lui aussi plus confidentiel. N’essayez même pas de vous pointer à un concert de Booba avec la tête de Kaaris sur le torse ou alors dites adieu à vos proches avant d’y mettre les pieds.

Donc, porter un t-shirt à l’effigie d’un groupe ou d’un artiste, ça engage. Mais c’est avant tout du fun. Dans le fond, ce n’est qu’un bout de tissu sorti la plupart du temps d’un rayon d’enseignes de prêt-à-porter bon marché. Je vous pardonne si vous arborez l’iconique langue rouge des Rolling Stones sur votre torse bombé et que vous n’êtes pas en capacité de me citer treize de leurs titres. Qui suis-je pour juger ? Suis-je moi-même capable de lister, là, au débotté, treize titres de David Bowie ?

La réponse est oui.

Mais vous n’avez aucun moyen de le vérifier.

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