Article
 

L’ENTÊTANT VER D'OREILLE 

PAR ADÈLE FUGÈRE

« Une petite cantate / Du bout des doigts / Obsédante et maladroite / Monte vers toi ». Cela n’intéresse certainement que moi mais sachez que j’ai cette chanson de Barbara dans la tête depuis ce matin. Et à l’heure où je rédige ces quelques lignes, soyez certains qu’on est plus proche de l’heure de l’apéro (du soir. Celui de midi ne compte pas) que de celle des Chocapic. Cette ritournelle, au demeurant fort mignonnette quand on l’écoute une à deux fois seulement, tourne dans ma tête depuis au bas mot sept longues et interminables heures. Je suis donc actuellement au point de péter n’importe quel objet qui me tombera sous la main pour que cela cesse. D’autant que dans mon cortex dérangé ce n’est pas la dame en noir qui me la chante mais Gérard Depardieu. J’avais dans l’idée que les quelques verres de vin blanc accompagnant cette logorrhée apaiseraient l’ardeur de notre Gérard national - ne crachant apparemment jamais sur du raisin liquide -, à me débiter ces quelques vers de poésie, mais que nenni. Cette petite cantate obsédante et maladroite qui porte bien son nom s’agrippe, s’accroche, se cramponne, s’acharne à rester là entre mes deux pavillons.

D’ailleurs pourquoi ? Pourquoi avons-nous ces chansons qui tournent en boucle et nous prennent littéralement la tête ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Et surtout comment s’en débarrasser ? 

Cette cantate de Barbara versus Gégé est selon James Kellaris, professeur de marketing à l’Université de Cincinnati, un ver d’oreille. Un peu comme le ver solitaire mais on n’est pas sur le même orifice. Pardon de cette comparaison inopinée des plus cavalières mais Depardieu est, en ce moment même, toujours dans ma tête et j’ai l’impression qu’il en a également pris le contrôle. Son étude - à James pas à Gérard - intitulée La dissection des vers d’oreille en donne une définition précise. Il s’agit d’un air entêtant, une sorte de virus qui s’installe dans « l’iPod » du cerveau se répétant dans l’esprit de la victime que cela plaise ou non à celle-ci. Vous remarquerez la sémantique se rapprochant de celle d’une scène de crime. Car oui, avec le ver d’oreille, on n’est proche du comportement d’un serial killer psychopathe. Ce dernier aurait pu avoir la courtoisie de choisir un morceau à notre goût, mais pensez-vous ?! Le ver d’oreille ayant le même niveau d’empathie qu’un Ted Bundy ou qu’un Émile Louis, il vous colle, sans aucun état d’âme, n’importe quel débilité musicale telle que Wanabe des Spice Girls ou Mambo n°5 de Lou Bega. Les épisodes de crise peuvent durer plusieurs heures et se produire assez fréquemment chez les « malades chroniques ». Nous ne sommes pas tous égaux face au ver d’oreille. Les musiciens y seraient plus sensibles que les non-musiciens à cause de leur contact plus étroit avec la musique. Et les femmes que les hommes à cause de… rien. Ce n’est juste pas de bol. La faute à pas de chance. La déveine. La guigne. La baraka d’une huitre. On avait déjà, nous les filles, à gérer les hormones, les règles, les vergetures, les bouffées de chaleur, l’acné précoce et tardive et la ménopause. Ce n’était apparemment pas suffisant. Il fallait en plus qu’on nous rajoute une petite couche bien épaisse de ver d’oreille histoire d’être certaines d’avoir un karma au niveau de la nappe phréatique. 

Mais alors comment se débarrasser de ce ver ? Existe-il des solutions ? 

Oui. Et la première est de se farcir l’intégralité de la chanson en cause. Le ver d’oreille est certes un tueur en série déséquilibré mais c’est aussi une grosse feignasse. Il ne tient pas sur la longueur. Le ver ne se contente que de quelques vers (ce jeu de mot pourri est sponsorisé par Gérard toujours en prise avec ma cervelle) et se résume, la plupart du temps, à « Galileo! Galileo ! Galiléo ! Galiléo ! Galiléo ! Figaro - Magnifico o o o o!  » de Bohemian Rhapsody répété sine fine. N’ayez alors aucun scrupule à écouter la chanson en entier. Le groupe Queen a eu la grande idée d’en faire un morceau de 5’54 minutes soit une éternité pour le ver qui se lassera et vous foutra une bonne fois pour toute la paix. 

Mais si par le plus grand des malheurs, vous tombez sur un ver d’oreille des plus hargneux et récalcitrants qui ne plie pas sous les assauts vociférants d’un Freddy Mercury moustachu, mettez pleine balle une autre chanson qui gomme, annule, zigouille - n’ayons pas peur des mots, je vous rappelle que nous sommes en présence d’un serial killer - le ver. Il a d’ailleurs été prouvé que l’hymne anglais God Save The Queen/King marche très bien pour cela. Je tiens toute de même à préciser que la version plus sonore et énervée des Sex Pistols peut certes faire disparaitre votre ver d’oreille mais votre ouïe dans son entièreté aussi. À bon entendeur. C’est le cas de le dire me souffle Gérard…. 

Mais certains préfèreront peut-être éviter de rajouter de la musique à de la musique de peur de remplacer plutôt que d’éradiquer. Un petit travail intellectuel permet alors de combler le cerveau et de virer définitivement cette satanée ritournelle. Il s’agit de l’anagramme. Ce mot ou groupe de mots obtenu par transposition de lettres va rendre dingue le ver qui est en vous et, entre nous, ce n’est que justice. Oeil pour œil. Dent pour dent. Oreille pour oreille. Trouver l’anagramme d’un mot va prendre tout votre cortex. Plus de place pour les premières notes du Petit Bonhomme en Mousse de Patrick Sébastien ou du « Oh Baby Baby » granuleux, métallique et absolument insupportable de Britney sur Oops!… I Did It Again. L’anagramme de Pablo Picasso? Pascal Obispo. Vous ne l’aviez pas vu venir celui-là. Plus dur, l’anagramme du Canard Enchainé ? Canne de l’anarchie. Les feux de l’amour ? Drame sexuel flou. Et un petit dernier de circonstance, la crise économique ? Le scénario comique. 

Voilà, vous êtes désormais armé pour lutter contre le ver d’oreille.

« Une petite cantate / Du bout des doigts / Obsédante et maladroite / Monte vers toi ». Grâce à la rédaction de ces quelques lignes, je n’ai plus cette chanson de Barbara dans la tête. Mais pas certaine que, dans mon immense mansuétude, je ne vous l’ai pas désormais refilée. Ne me remerciez pas. Gérard et moi, on vous embrasse.

 

Voir aussi