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QUAND LA MUSIQUE SE LIT AVEC DES MOTS

PAR ADÈLE FUGÈRE

La période estivale est l’occasion pour beaucoup d’entre nous de décélérer. De prendre le temps. Le temps de faire ce que le reste de l’année nous empêche, du moins nous restreint. Pardon de cette incartade personnelle qui n’intéresse, dans le fond, que moi mais personnellement l’été je lis. Entre deux verres de vin blanc ça va sans dire. Oui, parce que l’été je bois aussi. Et il s’avère que les « beaux jours » caniculaires de 2022 ont été riches en libations hydratantes et vinicoles – que Bacchus en soit éternellement loué – mais aussi en lectures musicales. Car oui, la musique se lit. Avec des notes certainement. Qui d’ailleurs n’a pas connu la raideur des cours de solfège long comme un jour sans fin me jette la première « Lettre à Élise », mais elle se lit également avec des mots. Et dans mon immense mansuétude (je sais, c’est extrêmement impressionnant et délicat de ma part), j’ai décidé de vous partager, ici, mes lectures les plus marquantes. La liste est évidemment non exhaustive, loin de moi l’idée de vous imposer quelque ouvrage que ce soit et je vous épargne les « bouses » littéraires qui existent aussi dans la prose musicale. Préférons les coups de cœur aux coups de canif qui, je l’espère, enjailleront votre rentrée.

GIRLS ROCK de  Sophie Rosemont – Éditions du NiL

Sorti en 2019, ce livre est l’histoire de rockeuses décomplexées. De guerrières qui se débattent. D’amazones qui s’imposent dans un milieu rock’n rollesque éminemment masculin, viril et – n’ayons pas peur des mots – sexiste. À travers les histoires et témoignages de 150 musiciennes, de Joni Mitchell en passant par PJ Harvey, Catherine Ringer, Björk mais aussi Marianne Faithfull, Fishback, Suzanne Vega, Kathleen Hanna, ou encore Sister Rosetta Tharpe, la journaliste Sophie Rosemont dresse, par le biais d’un chapitrage thématique, un portrait riche en parcours de ces femmes qui n’ont pas voulu être réduites à de simples groupies. En résumé, c’est une mine d’informations sur celles qui ont bombé le torse plutôt que montrer leurs seins pour percer dans le milieu.

 

OASIS OU LA REVANCHE DES PLOUCS de Benjamin Durand et Nico Prat – Éditions PlaylistSociety

Cet essai transpire Manchester, les syllabes avalées d’un accent à couper au couteau, la fratrie contrariée, les racines, le foot, la lutte des classes et sa cousine l’extraction sociale. Ça sent l’Angleterre « so » 80’s et 90’s, et bien évidemment la Britpop, pied de nez au grunge ambiant. L’historien et documentaliste Benjamin Durand et le journaliste Nico Prat nous embarquent dans le quotidien des frères Gallagher autant connus pour leur musique que leur arrogance, leurs frasques et leur auto-sabordage final un soir de festival à Saint Cloud en 2009. Mais ce livre va plus loin qu’un simple étalage des extravagances fratricides entre Noel et Liam. Il dépeint, en fond de scène, la vie politique anglaise de l’époque. Et c’est à lire une bière tiède à la main évidemment.

 

HÉROUVILLE OU LE CHATEAU HANTÉ DU ROCK de Laurent Jaoui – Éditions Castormusic

Quand on parle de studios d’enregistrement mythiques, on ne peut pas ne pas citer ceux d’Abbey Road à Londres. Mais il s’avère qu’on ne peut pas dormir à Abbey Road. Qu’on ne peut pas jouer au tennis à Abbey Road ni y piquer une tête entre deux riffs de guitares. Alors qu’au château d’Hérouville, oui. Premier véritable studio résidentiel au monde,  Laurent Jaoui, écrivain et journaliste, revient sur ce lieu de vie et de travail, situé à une demi-heure de Paris, en pleine campagne, inspirant les plus grands musiciens entre 1970 et 1985, loin des tentations de la capitale. On y croise Bowie, Iggy, CharlElie, Higelin, Bad Co, Marvin Gaye – avec Phil Barney, c’est assez cocasse pour le souligner –, Marc Bolan, Elton John ou encore les Bee Gees qui enregistrent dans l’escalier du château tant son acoustique est fabuleuse. Les murs de ce studio suintent de créativité, de musique, de temps, de liberté et… de fantômes.

PASSEUR de Jean-Daniel Beauvallet – Éditions du braquage

Faut-il encore présenter JD Beauvallet, membre fondateur du magazine « Les Inrockuptibles » où il a dirigé la partie musicale jusqu’en 2019, et intervieweur inlassable et hors pair pendant quatre décennies de ceux et celles qui ont fait le rock devant et derrière la scène ? Mieux que « critique » JD Beauvallet se dit « passeur » d’histoires – d’où le titre du livre –, ce qu’il fait admirablement dans ses « mémoires ». Il ne se la raconte pas. Il est timide, modeste, précis. Dans les mots, le rythme de la phrase et le souvenir avec un amour immodéré pour l’artiste, un respect total pour le métier de journaliste et l’exercice de l’entretien. Le vrai. Le travaillé.

PROFESSION ROCK CRITIC Volumes 1 et 2 d’Albert Potiron – Éditions Gonzaï Média

Par ricochets, on y retrouve JD Beauvallet avec d’autres « Rock Critics » ici interviewés par le journaliste Albert Potiron, plume dans la revue « Gonzaï » ou « Technikart ». C’est un peu l’arroseur-arrosé ou le questionneur-questionné puisque Albert Potiron a pris son bâton de pèlerin et interviewé ceux qui d’ordinaire interviewent les musiciens. Yves Bigot, Olivier Cachin, Charline Lecarpentier, Jean-Yves Leloup, Philippe Manœuvre, Rebecca Manzoni, Patrick Eudeline et j’en passe, se prêtent au jeu des interrogations sur leur métier de « critic ». Ça parle évidemment de musique, de la légitimité assumée ou non de faire ce métier, mais aussi de l’écriture et son exigence. Il y a certes des disparités, des façons de travailler différentes, limite contraires, entre ces générations de témoins et observateurs du milieu musical qui se succèdent au gré des pages de ces deux volumes. Mais il y reste une constante intangible. On n’écrit pas sur la musique sans peser ses mots.

L’ENVERS DU ROCK de Nick Kent – Éditions Austral

APATHY FOR THE DEVIL, les seventies voyage au bout des ténèbres de Nick Kent – Éditions RivagesRouges

THE UNSTABLE BOYS – Nick Kent – Éditions Sonatine

Je ne pouvais finir cette liste d’ouvrages consacrés à la musique sans vous citer les trois livres écrits par le journaliste anglais Nick Kent, contributeur dès les 70’s de « NME » (« New Musical Express ») et désormais « Libération ». C’est une référence absolue – à l’instar d’un Lester Bangs –, dans le milieu du rock aussi bien du côté des artistes que des journalistes. Tout ce qu’un fan de musique peut désirer est là. Il est le champion de l’interview. Il a côtoyé Iggy Pop, Keith Richards (une sorte de jumeau), ou encore Sid Vicious et sa chaîne de vélo. Il a répété avec les Sex Pistols encore embryon du mouvement punk et connu l’amour dans les bras de Chrissie Hynde. Il écrit sur le rock et le punk comme personne et aime écouter du Debussy aussi. C’est drogue, crasse et sueur mais sa plume est l’une des plus belles que j’ai lues. Il décrit le pire mais avec une élégance folle, brio et humour. « L’envers du Rock » est une galerie de portraits d’artistes de Brian Wilson à Neil Young en passant par les New York Dolls et Elvis Costello. « Apathy for the devil » (référence non dissimulée au « Sympathy » des Rolling Stones) raconte son ascension fulgurante et sa chute tout aussi éclatante. Quant à « The unstable boys », dernier ouvrage et premier roman de Nick Kent sorti en 2022, il montre qu’il ne faudrait jamais rencontrer ses idoles. A noter, la traduction irréprochable de Laurence Romance. À lire donc avec voracité.

À noter, régional de l’étape oblige, le vendéo-nantais Laurent Charliot s’est penché sur les faits divers, les drames, les rumeurs et autres historiettes qui ont fait la légende du rock. À travers « Rock Stories, 200 histoires insolites et incroyablement rock ! » paru en 2020 aux éditions Iéna, vous saurez pourquoi Johnny Cash a détenu quelques instants le plus grand secret de la planète, que le seul Beach Boy à savoir surfé est mort noyé ou que les Pages Jaunes ont inspiré l’un des tubes de Coldplay.

Enfin, rentrée littéraire oblige, notons la sortie ce mois-ci de « Very Good Trip, une histoire intime de la musique », celle du journaliste musical Mishka Assayas, le voyage d’un fou de musique qui rêvait d’un autre monde, aux éditions GM.

Bonne lecture.
Bonne musique.
Bonne rentrée.

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